Nr 2 janvier 2023 Perspectives littéraires-2 - Flipbook - Page 3
Perspectives littéraires – numéro 2, janvier 2023
De la littérature du patrimoine :
doit-on encore faire lire les
classiques ?
« Que faire dans cette situation ? Quel est le rôle du ministère public ? Lire tout le
roman ? C’est impossible ! De l’autre côté ne lire que les textes incriminés, c’est s’exposer à
un reproche très fondé. On pourrait nous dire : si vous n’exposez pas le procès de toutes ses
parties, si vous passez ce qui précède et ce qui suit les passages incriminés, est évident que
vous étouffez le débat en restreignant le terrain de la discussion ». Maître Pinard, Procès de
Madame Bovary.
Faux paradoxe et vrai défi
La lecture scolaire, posée comme un impératif, peut heurter, décourager ou inquiéter. On associe
pourtant la lecture à la notion de plaisir, individuel et intime, celui du professeur, que l’on oppose à la
notion de travail, celle de l’élève, elle-même perçue négativement comme celle d’effort et de contrainte.
On évoque alors l’alternative lecture vs plaisir, comme si ce dernier était par nature incompatible avec la
notion de travail : la lecture à l’école ne serait qu’effort et contrainte en raison de son caractère imposé.
Les enseignants semblent tiraillés par un dilemme qui n’en est peut-être pas un, dans la mesure où
il m’apparaît fondé sur un malentendu : doivent-ils faire lire les classiques avec le risque de rebuter leurs
élèves ou bien peuvent-ils puiser dans une littérature censée être plus proche de leur public afin de
répondre à leurs goûts ? Les professeurs ont, en effet, une relation intime à la lecture, à certains auteurs
et à certaines œuvres ; généreux, ils cherchent souvent à susciter ce plaisir de la rencontre entre un livre
et les élèves, et ils se désespèrent que les livres qu’ils aiment ne rencontrent pas l’écho espéré auprès du
public auquel ils le destinent. La crainte de la réception de leurs propositions de lecture par les adolescents
d’aujourd’hui, que nous savons amplement sollicités et détournés de l’écrit imprimé, la volonté de
conjuguer lecture et plaisir aboutissent trop souvent à des renoncements, le choix de titres plus courts,
d’œuvres jugées proches de leurs élèves. Articuler une formation ambitieuse de l’élève sans renoncer à la
compréhensible envie de voir les livres inscrits dans un monde qui lui semble familier et dans lequel il se
sent, sans entrave, partie prenante, est-il encore possible ?
Et si on ne faisait pas du plaisir la condition sine qua non de la lecture, ou plus justement un
préalable à la lecture, mais bien davantage l’aboutissement d’un travail scolaire ? Ne peut-on pas imaginer
une lecture qui intègre la contrainte et l’effort, et qui, par l’exigence même qu’elle implique, ne rebute pas
les élèves ? C’est là que commence notre travail de pédagogues du texte littéraire.
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