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Perspectives littéraires – numéro 2, janvier 2023
La lecture : labeur, loisir et activité
La fréquentation des œuvres classiques est liée avant tout à l’idée de travail, et de travail scolaire.
Beaucoup des titres que nous donnons à lire à nos élèves viennent de nos années d’études universitaires,
la lecture même de ces titres intervient dans un cadre professionnel, celui de la préparation d’un cours, là
où la lecture d’œuvres contemporaines est liée davantage à la question du goût personnel, d’une
déambulation dans les rayons d’une librairie, d’un temps pour soi, d’une parenthèse hors temps où trouve
à s’exprimer le rapport que nous avons à la littérature. Autrement dit, on lirait les œuvres classiques par
obligation et les œuvres contemporaines par choix. Cette distribution, consciente ou inconsciente, la
relation que le professeur lui-même entretient avec le livre, induisent des choix et des stratégies de lecture,
car nous ne lisons pas de la même façon un livre dont on veut faire un objet d’étude, avec une perspective
de rentabilisation liée à l’examen de fin d’année et en fonction d’un objectif clairement arrêté, qui implique
un travail, et un livre que l’on lit par intérêt et pour le plaisir, ce dernier étant perçu comme la finalité
prioritaire, voire exclusive.
Cette pensée simplificatrice de la lecture qui va jusqu’au séparatisme - l’effort et l’obligation d’un
côté, le plaisir et l’épanouissement de l’autre - a pour dommageable effet une certaine labellisation des
auteurs. De cette classification, la lecture des classiques est ressortie grande perdante, au motif que la
lecture des œuvres patrimoniales aurait tout pour rebuter les élèves et même les professeurs les moins
confiants dans le pouvoir de la littérature à parler aux jeunes générations. Le cadre scolaire semble avoir
imposé aux professeurs une lecture figée qui n’a plus comme finalité de s’intéresser au discours mais de
faire acquérir des notions aux élèves. On ne lit plus les nouvelles de Maupassant pour en déceler l’ironie
mordante du portrait qu’il fait de la bourgeoisie ou de l’aristocratie provinciale, mais avec le souci de faire
apprendre ce qu’est « la nouvelle réaliste ». On ne présente pas
Le Horla comme un journal intime ouvrant sur un espace réflexif
destiné à figurer par l’écriture la fragilité de l’organisation
identitaire d’un narrateur-personnage au bord de la rupture,
mais pour faire apprendre « les critères du fantastique ». On ne
cherche plus la singularité d’une comédie moliéresque mais
« les formes du comique ». Les Classiques n’ont plus d’intérêt
que pour leur valeur historique de modèles et sont utilisés
comme des supports pour travailler des notions.
Rien de tel pour en rendre la lecture aride. Les poètes
de la Pléiade, les écrivains classiques, les philosophes des
Lumières sont ainsi tous mis dans le grand bain d’un siècle,
portant lui-même une étiquette rassurante, mais réduisant
souvent, dans l’esprit des élèves, la variété et la diversité des
productions littéraires à l’intérieur-même de ces époques, aux
délimitations dont plus d’un historien de la littérature a montré
l’arbitraire ainsi que la flottabilité : la Renaissance, le siècle
classique, le siècle des Lumières, le XIXe,
siècle des
bouleversements, le XXe, siècle de la modernité, etc. Les
œuvres et les passages choisis, récurrents, figent des époques
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