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Perspectives littéraires – numéro 2, janvier 2023
qui ne demandent pas à l’être, sclérosent des écrits qui regorgent de ces
classements simplistes, là où on attendrait l’expression de nuances qui font
justement la richesse de cette littérature que nous aimons. En résulte le
sentiment tantôt entretenu, tantôt subi, qu’on ne lit plus et qu’on ne fait plus
lire pour accéder à une pensée, pour faire découvrir un récit et pour
rencontrer des personnages, mais exclusivement dans un souci d’efficacité,
pour faire acquérir des notions d’histoire littéraire. On a pu se persuader que
les textes littéraires devaient être lus à travers le prisme exclusif de leur
siècle, d’un mouvement littéraire que l’on voulait parfois à tout prix faire
coïncider avec des textes plus nuancés. Voltaire est bien un philosophe des
Lumières, Hugo est invariablement romantique, enfermé dans un romantisme
du Moi, quelle que soit l’œuvre que l’on étudie, Flaubert un réaliste, étiquette
qu’il rejette pourtant avec véhémence dans sa correspondance, Zola un
naturaliste, Maupassant navigue entre deux eaux, tantôt réaliste, tantôt
naturaliste, Camus est le représentant de l’absurde, etc.
On ne lit plus les œuvres pour ce qu’elles ont à dire, mais pour ce qu’elles ont à nous apprendre,
croit-on.
Héutontimoroumenoï
L’offre littéraire proposée aux élèves semble ainsi se réduire dans les classes à quelques titres,
toujours les mêmes. Sont à encourager plus que jamais celles et ceux qui veulent échapper à ce qui semble
désormais une fatalité didactique : faire nécessairement étudier Le Cid, « La Parure » - qui semble désormais
avoir détrôné « Aux champs » -, ou Antigone, lesquels reviennent inlassablement devant les élèves au
collège depuis une dizaine d’années. On doit aider les professeurs soucieux à se donner un autre horizon
que ces titres, légitimes certes, mais qui ont fini par éclipser d’autres œuvres tout aussi exaltantes et pas
moins accessibles aux élèves, et les convaincre qu’elles ne s’imposent pas naturellement à eux. La
préférence accordée au seul Cid en Quatrième, au détriment d’Horace ou de Cinna, d’Andromaque ou de
Bérénice n’est pas justifiée par les programmes, ni par un moindre intérêt littéraire, mais semble découler
de l’offre éditoriale comme l’indique la présence massive du Cid dans les
manuels. Le choix d’Antigone, proposée comme un bestseller pour la vaste
entrée « Agir dans la cité : individu et pouvoir » en Troisième interroge au vu
du large corpus que permet la lecture d’une « œuvre portant un regard sur
l’Histoire du XXème siècle ». Son hégémonie ne laisse pas d’étonner et étouffe
tant d’autres choix qui pourraient se révéler bien plus pertinents et qui sont
indiqués dans les programmes : «en lien avec la programmation annuelle en
histoire (étude du XXe siècle, thème 1 : « L’Europe, un théâtre majeur des
guerres totales »), une œuvre ou la partie significative d’une œuvre portant un
regard sur l’histoire du siècle – guerres mondiales, société de l’entre-deux
guerres, régimes fascistes et totalitaires (lecture intégrale). » On renonce ainsi
à faire lire des titres portant sur la Première ou la Seconde Guerre mondiale,
lesquels se justifient tout autant, si ce n’est davantage. Le Diable au corps de
Radiguet, L’Adieu aux armes d’Hemingway, À l’Ouest, rien de nouveau de
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