Nr 2 janvier 2023 Perspectives littéraires-2 - Flipbook - Page 7
Perspectives littéraires – numéro 2, janvier 2023
Remarque, Être sans destin de Kertész, Aucun de nous ne reviendra de Delbo, La nuit de Wiesel, La Douleur
de Duras, 1984 ou La Ferme des animaux d’Orwell, Rhinocéros de Ionesco, Les Mains sales de Sartres,
tant d’œuvres qui répondent remarquablement aux attentes des programmes, et ne sont toutefois pas
proposées aux élèves. Alors Antigone, effet de mode ? Pas seulement.
De façon inquiétante, semble s’imposer parfois une culture littéraire de plus en plus restreinte. Or,
les démarches émancipatrices qui veulent dépasser ces alternatives figées et franchir les frontières
arbitrairement tracées par des automatismes didactiques entre ce que l’on serait autorisé à faire lire au
collège et ce qui serait réservé au lycée, sont à louer. La peur de la redite freine les initiatives, limite les
titres donnés à lire et restreint ainsi dangereusement le périmètre de la littérature proposée en Quatrième
et en Troisième, alors qu’un cycle n’entrave pas l’autre.
À l’inverse, j’ai pu rencontrer nombre de professeurs, portés par la passion littéraire et l’envie de la
transmettre, faisant preuve d’une incroyable énergie et d’inventivité, afin de trouver les voies du partage
avec leurs élèves. Loin des multiples grilles qui envahissent et, parfois, vident de son sens l’enseignement
des Lettres, ils cherchent sans relâche l’approche la plus appropriée pour amener devant leurs classes les
œuvres patrimoniales, persuadés de leur valeur, convaincus des horizons et des voies ouvertes, avec cette
seule question : est-ce que ce que j’entreprends fait sens pour mes élèves et les enrichit ?
Les paris faits sur le travail possible avec nos élèves qui, éloignés pour un temps des écrans devant
lesquels ils passent jusqu’à quatre heures par jour, ont la chance d’avoir devant eux leurs enseignants,
entre sept et neuf heures par jour, soit près de deux fois plus, sont toujours les plus gagnants !
Au lycée, les œuvres contemporaines et les formats courts ont le vent en poupe. Ainsi, en lecture
cursive pour accompagner l’étude de l’œuvre intégrale de Baudelaire en Première retrouve-t-on des
recueils jugés faciles d’accès tels le Paroles de Prévert quand
Jaccottet aurait été tout autant exploitable, ou quand Images
à Crusoé de Saint-John Perse aurait trouvé des échos riches
avec Les Fleurs du mal. D’emblée, la crainte des professeurs
de ne pas parvenir à faire lire la littérature du patrimoine
inhibe leurs initiatives didactiques et censure leurs premiers
élans au moment-même où s’élabore leur programmation
annuelle. La question n’est pourtant pas de savoir si tel ou
tel titre va plaire et trouver son public, mais bien plutôt de
trouver les voies pour les faire lire et les rendre accessibles
aux élèves.
On a bien tenté de faire passer les classiques pour
des reliques du passé incapables de parler aux jeunes.
Résultat, même Bel-Ami est maintenant délaissé en raison
de sa longueur. Les tragédies sortent du répertoire, les
romans réalistes et naturalistes deviennent rares, la
littérature du XVIIIème siècle est peu à peu abandonnée. La
Religieuse de Diderot, Paul et Virginie de Bernardin de Saint-
6