Nr 2 janvier 2023 Perspectives littéraires-2 - Flipbook - Page 91
Perspectives littéraires – numéro 2, janvier 2023
Lire la première page de La Peau
de Chagrin
Communication de Simon DAIREAUX,
Professeur en CPGE au lycée Pothier
(Orléans)
Barthes
« lexie »
par
« lexie » (terme
utilisé
par
Barthes pour
désigner
chaque unité du roman). Dans la deuxième
séance du séminaire, le critique détermine une
méthode en justifiant l’intérêt d’une lecture
progressive de l’œuvre, ce qu’il nomme assez
simplement un « pas à pas » ou plus
abstraitement une « structure sans couronne ».
Je souhaiterais aujourd’hui vous livrer
quelques réflexions sur la lecture, le geste de
la lecture à partir d’un exemple, la première
page d’un roman de Balzac, La Peau de
chagrin. J’ai décidé de porter mon attention
sur une œuvre romanesque au programme
des classes de première générale mais
j’espère que mon propos n’intéressera pas
seulement les enseignants dont le choix s’est
porté sur cette œuvre. Je risque même de
décevoir l’attente de ces collègues dans la
mesure où ma réflexion portera sur un
moment particulier de l’œuvre, ses vingt
premières lignes.
« Le pas à pas est le mouvement idéal de la
lecture (préjugé qui veut que lire, ce soit
sauter, omettre). L’idéal serait une lecture sans
scorie, sans oubli, pure, faite d’acuité, de
précision, de division et de mise en
perspective. Cf. un état non onirique, mais
halluciné : lire, ce n’est pas rêver (encore
moins rêvasser), c’est s’halluciner, se droguer
(au sens d’hyperprécision que ce mot a chez
Baudelaire). Le pas à pas est un mode
d’hyperesthésie, une lecture droguée »4.
J’aimerais, à travers l’étude de l’incipit de
Balzac, défendre un mode de lecture de
l’incipit (partant d’explication de texte) qui
permette de découvrir un texte, de s’en
étonner sans nécessairement qu’il donne la
possibilité de fixer une interprétation, de
donner à voir la suite du roman. Parmi les
inspirations critiques qui ont nourri cette
réflexion, je me permettrais de convoquer le
séminaire de Roland Barthes à l’École pratique
des hautes études consacré à la nouvelle
Sarrasine de Balzac, précisément la séance du
15 février 1968. Précisons pour ceux qui
n’ont ni lu la nouvelle ni parcouru les notes
des cours de Roland Barthes que ce séminaire
propose une lecture à la fois linéaire et
tabulaire de la nouvelle de Balzac, unité par
unité ou pour reprendre le vocabulaire de
Je n’ai pas l’intention de commenter
longuement ce passage de Barthes, je
retiendrais pour l’instant le terme d’acuité qui
me paraît essentiel dans la disposition idéale
du lecteur. L’acuité en tant qu’elle s’oppose à
la passivité, à l’indifférence qui peut être celle
d’un élève de lycée à qui on imposerait la
lecture d’un texte. L’autre expression que
4
proposée par Mathieu Messager dans une recension en
ligne sur le site fabula (« Barthes, de A à (S/)Z », Acta
fabula, vol. 13, n° 5, Essais critiques, Mai-Juin 2012).
Roland BARTHES, Cours/EHESS, 3, sur Sarrasine de
Balzac, Seuil, « Trace écrite », 2011. Une présentation
dynamique de cet ouvrage (en guise d’introduction) est
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