Nr 2 janvier 2023 Perspectives littéraires-2 - Flipbook - Page 96
Perspectives littéraires – numéro 2, janvier 2023
vieillard blême, accroupi dans l’ombre,
protégé par une barricade, et qui se leva
soudain en montrant une figure moulée sur un
type ignoble.
Dans ce passage, le narrateur introduit une
parole, celle d’un personnage défiguré lui
aussi, d’abord caractérisé par une apparence
physique (voix et corps) repoussante puis
dénoncé par l’expression « une figure moulée
sur un type ignoble » (déconstruit son unité et
évalue négativement le personnage, à moins
que
l’adjectif
ignoble
renvoie
étymologiquement à l’extraction populaire du
vieillard). Difficile de donner une apparence
humaine à ce personnage qui semble se
confondre avec l’abri où il se tient. Par un effet
ironique, le mouvement de ce dernier coïncide
avec le moment où le narrateur le réifie
(« figure moulée »). L’ordre qu’il impose au
« jeune homme » laisse imaginer au lecteur
qu’il est chargé de contrôler l’entrée du tripot.
Un terme arrête cependant notre lecture, celui
de « barricade » qui est une allusion
(transparente pour le lecteur de 1831) au
climat insurrectionnel qui règne dans le
quartier du Palais-Royal. La dimension réaliste
se laisse ainsi deviner par des indices qui
exigent un effort du lecteur. La barricade qui
devient à partir de 1830 un objet central des
révoltes populaires abrite ici un vieillard
chargé de contrôler l’accès à un lieu de
plaisirs. On dira toutefois avec Genette que le
terme de « barricade » n’apparaît pas
« motivé »19 dans l’extrait, dans une certaine
mesure invraisemblable. C’est ainsi que
l’époque point dans le texte. « Rhétorique de
l’allusion » disions-nous.
manière de conclure un contrat infernal avec
vous en exigeant je ne sais quel gage ? Seraitce pour vous obliger à garder un maintien
respectueux devant ceux qui vont gagner
votre argent ? Est-ce la police tapie dans tous
les égouts sociaux qui tient à savoir le nom de
votre chapelier ou le vôtre, si vous l’avez
inscrit sur la coiffe ? Est-ce enfin pour prendre
la mesure de votre crâne et dresser une
statistique instructive sur la capacité cérébrale
des joueurs ? Sur ce point l’administration
garde un silence complet. Mais sachez-le bien,
à peine avez-vous fait un pas vers le tapis vert,
déjà votre chapeau ne vous appartient pas
plus que vous ne vous appartenez à vousmême : vous êtes au jeu, vous, votre fortune,
Quand vous entrez dans une maison de jeu, la
loi commence par vous dépouiller de votre
chapeau. Est-ce une parabole évangélique et
providentielle ? N’est-ce pas plutôt une
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Gérard GENETTE, « Vraisemblance et motivation »,
Figures II, 1969.
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