Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 108
blessures, ainsi la poète peut jouer sur les acceptions du mot aiguilles , au dernier poème, et lier,
par syllepse, les trois dimensions qui font le recueil mais surtout, qui font une vie humaine selon
elle : les « aiguilles » du poème conclusif renvoient en effet à la fois aux aiguilles douloureuses
(comme « les épines » présentes également dans le texte), aux aiguilles des conifères de sa forêt
québécoise, mais aussi aux aiguilles du temps, enjeu majeur de la vie humaine à apprivoiser pour
survivre malgré la terrifiante finitude qui caractérise notre espèce.
C9est en outre par les mots que se raconte une histoire plus subtile que l9histoire
apparente, connue et affreusement linaire des récits ou des mythes (la naissance, la vie et la mort,
ou le chaos puis la civilisation, relatées dans les poèmes de la dernière section au fil des trois
poèmes « Avant l9aube », « Avant l9horizon » et « Avant la nuit »). Par la poésie et par la musicalité
des vers et des strophes, se tisse une histoire plus imprévisible : avec l9allitération en [r] qui roule
tout au long du poème de clôture, de « rare » à « rayon » en passant par « retrouve », « ratures »,
« repentirs », « retour » et « résout », on comprend que quelles soient les atteintes, l9histoire
continue, ce qui est la preuve matérielle de ce qui était littéralement acté un poème plus haut
(« mais l9histoire a continué »). On constate donc que de deux poèmes successifs, le poème suivant
met effectivement en Tuvre ce que le poème précédent avait annoncé, donnant une crédibilité
aux prophéties quand elles sont prononcées par les poètes : la voix du poème avait dit, quelque
choses s9est bel et bien propagé qui, quel que soit l8énoncé littéral, n9a jamais cessé dans la
trajectoire sensorielle, ici sonore, des mots. L9hommage est ainsi rendu à la vérité de cette poésie
qui, au terme du recueil, met sous nos yeux l9effectivité de la parole poétique. Avec les poètes,
les prédictions se réalisent et comme dit Eluard, de ce point de vue, les mots ne mentent pas.
Conclusion rédigée
Bilan
On ne saurait distinguer la nature, de la poésie, de l9amour chez Hélène Dorion ; les trois
ont scellé un pacte ancien et jamais démenti, d9Tuvre en Tuvre. C9est bien la même poète qui
écrit L9étreinte des vents116, CTurs, comme livres d9amour117 et Mes forêts118.
Ouverture
Si elle ne nie pas le « dialogue avec la nature »119, elle admet vite que « les forêts sont
évidemment une métaphore120 » mais elle ajoute aussitôt « une autre manière de la nécessité de
réparer notre rapport au vivant, c9est un autre langage ». C9est dans cette urgence que se noue
le besoin de la poésie, prétexte mais prétexte vital, en ce que cette dernière, qu9elle appelle « une
compagne pour la vie », n9est rien de moins qu9« une manière d9apprendre à vivre, à être, à
aimer »121. Ou quand la déclaration est aussi mode d9emploi, ex voto et programme.
116
L'Étreinte des vents, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 2009, 142 p.) [Paru en France sous le titre L'âme
rentre à la maison, Paris, Éditions de La Différence, 2010] [Réédition, Éditions Druide, 2018].
117
CSurs, comme livres d'amour, Montréal, Éditions de l'Hexagone, 2012, rééd. Bruno Doucey, 2023.
118
Mes forêts, Paris, Éditions Bruno Doucey, 2021.
119
Entretien avec Louise Tourret et Olivier Barbarant pour France culture (13 mars 2023) :
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/etre-et-savoir/helene-dorion-la-poesie-contemporaine-auprogramme-du-bac-3958611
120
Ibidem.
121
Entretien donné à Raphaëlle Leyris pour le quotidien français Le Monde, 16 avril 2023. URL :
https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/04/16/helene-dorion-ecrire-pour-apprendre-a-etre-et-aaimer_6169718_3260.html
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