Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 12
D9abord, la crainte, chez moi déjà obsessionnelle, plus encore qu9avec tout autre, de trahir l9auteur. Le fait
qu9elle soit vivante était encore plus inhibant. Cependant, je dois aimer ce risque que tout énoncé présente
(du faux sens, du contresens, du malentendu ou de la surinterprétation) puisque le texte de parcours
associé est d9Olivier Barbarant et celui support du commentaire de François Cheng, deux auteurs vivants.
Ensuite, le dosage des préalables. Une auteure du 21ème siècle porte avec elle des millénaires et en plus,
dans le cas d9une canadienne, une double culture. Les épigraphes renvoient ainsi à des autrices mal
diffusées en France et se les approprier en vue de les présenter aux élèves m9a donné du fil à retordre.
Les références culturelles de manière générale, discrètes mais nombreuses, exigent recherches et
vérifications, à la fois excitantes et intimidantes.
Puis, au fil de la mise en Tuvre se sont ajoutées deux nouvelles difficultés : d9une part la répartition entre
les différents supports (texte, vidéos que la poète propose, accompagnements musicaux), ce qui, dans le
temps du cours, ne va pas de soi. D9autre part, une question d9élève m9a semblé épineuse : « Dorion estelle lyrique ? » Y répondre ne me semble toujours pas évident. Oui bien-sûr selon des définitions en usage,
sauf qu9Hélène Dorion pratique une parole poétique où l9intime n9est pas forcément personnel et aussi
parce qu9il ne me semble pas qu9elle croie à quelque transcendance (si ce n9est celle de la poésie elle même), préférant acter l9immanence des choses. Cela nous amène à une autre difficulté que j9avais sous estimée avant la séquence, c9est l9arrière-plan philosophique dans Mes forêts : des notions comme le
langage, la métaphysique, le sensible, l9ontologie, l9éthique, le matérialisme (H. Dorion cite Galilée dans
Mes forêts et par ailleurs, elle revendique l9apport camusien), alors même que les élèves de première n9ont
pas encore débuté la philosophie, et pour moi qui n9ai pas une formation de philosophe, m9ont paru
délicates à expliquer et cela réclamera pour les années à venir, une meilleure préparation de ma part. Je
n9exclus pas de demander à des collègues philosophes
leur lecture du recueil et avec, quelques éclairages.
Perspectives littéraires : Quelles sont les satisfactions
que vous en avez tirées de l9étude de ce recueil avec vos
élèves ?
Lydia Blanc : Je suis toujours heureuse quand des élèves
comprennent que la littérature et la poésie leur
appartiennent : un recueil comme Mes forêts a le mérite
de désinhiber notre rapport à la poésie et la
représentation que parfois nous nous en faisons, encore
très parnassienne, ourlée, artificielle ou improbable.
Évidemment que la poésie demeure un genre très pointu
et hautement exigeant, quels que soient les siècles et
quels que soient les auteurs. Mais réfléchir à partir de
quelques poèmes, à tout ce qu9elle implique, engage et
permet, et aussi, penser, parce que H. Dorion nous y
invite avec application, le lien viscéral et concret que la
poésie peut entretenir avec nos vies me motive toujours.
De façon égoïste, transmettre des bribes de mes auteurs
favoris à travers H. Dorion m9a réjouie : Lionel Ray, par
exemple, ou Guillevic rapidement évoqué en fin de cours
une séance, sont des poètes dont la simple mention me
fait toujours du bien, quoi que mes élèves en fassent par
la suite et qui ne regardera qu9eux.
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