Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 16
Faire étudier Hélène Dorion alors qu9on
peut s9en tenir aux géants du patrimoine
littéraire français, Rimbaud ou Ponge au
programme également, c9est aussi, très vite
devoir se justifier de choisir Hélène Dorion ou
plutôt, s9expliquer sur ce qui semble l9option
originale, pour démontrer que cette démarche
n9est pas si divergente ni audacieuse qu9elle n9y
paraît d9abord : la poésie d9Hélène Dorion ne
nous parle jamais que de ce que nous sommes
profondément. Bien-sûr, elle a face à elle deux
géants de la poésie française et elle ne prétend
pas rivaliser. Production ultra récente (puisque
Mes forêts est paru en 2021 seulement,
rendant la Rage de l9expression de 1956
presque ancienne et les Cahiers de Douai de
1871 quasi antédiluviens), elle pour elle de
cumuler différentes conceptions de la poésie,
au carrefour de l9atelier du poète et des
émancipations créatrices24. On dirait donc que
de prime abord, Mes forêts s9inscrit dans le
monde des élèves.
technologiques et
nouveaux médias
en ligne (réseaux
sociaux,
plateformes
de
streaming),
en
entretenant avec le
lecteur mais aussi
avec le livre, un lien plus dynamique et plus
interactif.
Les implications de ce positionnement
relativement inédit ne manquent pas.
Le recueil de H. Dorion et la façon dont elle vit
la poésie, de manière à la fois collaborative,
facilitatrice et incitative (probablement dû au
fait qu9elle a occupé, au fil de sa longue
carrière, tous les postes de la production
littéraire : étudiante, enseignante, éditrice,
critique, auteur), vise à décomplexer les
lecteurs vis-à-vis d9un genre volontiers
sacralisé et à faire entrer la poésie dans la vie
sinon concrète du moins normale de son
lectorat.
Ce travail s9ajoute à des premières
réflexions publiées dans un parascolaire
synthétique, à destination des élèves et dont
les partis pris se voulaient clairs25 : sortir la
poésie d9Hélène Dorion de tout discours
naïvement bucolique pour la replacer dans une
réflexion au long cours, celle d9une Tuvre qui
s9épanouit depuis désormais quarante ans, et
qui explore les possibilités de la langue,
narrative ou poétique. La poésie de Dorion
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Pour autant, cette méthode consistant à ouvrir
quelques pans de son atelier d9écriture, et à
tenir le lecteur au courant des implications de
son activité d9écrivaine sur son calendrier et
ses préoccupations, ne banalise pas son art :
au contraire, ainsi redonne-t-elle habilement à
l9écriture sa place centrale, en en faisant le
carrefour de toutes les autres expériences,
puisque tout (ce qu9elle voit et vit) se rapporte
finalement à l9objet-livre qu9elle rend familier
de ses followers. Par exemple en ce moment,
ses promenades, ses photographies, ses
accompagnements musicaux et sa tournée
auprès des publics scolaires la ramène toujours
aux forêts qui prennent la forme matérialisée
et visible de ses forêts d9Orford, que l9on peut
exprime la part universelle de l9intime,
interroge la condition de l9être humain dans
ses deux paramètres majeurs que sont
temps et espace, et se tient à l9affût du
monde, tantôt pour en recueillir les échos
tantôt pour s9en servir de porte-voix.
propose au lecteur de nouvelles façons de
faire vivre la poésie, en se saisissant des
moyens offerts par les nouvelles
Le premier appliqué à Francis Ponge et le second concernant les 22 poèmes de l’homme aux semelles de vent.
Lydia Blanc, Hélène Dorion, Mes forêts, la nature, la poésie, l’intime. Coll. « L’Suvre et son parcours ». Ellipses, avril
2023.
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