Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 2
La poésie d’Hélène
Quel honneur mais quelle responsabilité pour Hélène Dorion que de jouxter dans nos programmes
Rimbaud et Ponge mais plus largement, Rabelais, Balzac, Molière ou encore Marivaux ! Cela aurait de quoi
en intimider plus d9un que de passer du statut de poète1 québécoise à la notoriété discrète à celui de
figure d9autorité de la culture scolaire et savante. Pourtant, aborder la poésie d9Hélène D orion n9est
nullement accoster à un de ces rivages déserts du bout du monde ; très vite en lisant et en faisant étudier
Mes forêts, l9on se retrouve en une terre connue. Lire Hélène Dorion, c9est lire J. Brault, Jaccottet, Annie
Dillard, mais aussi re-lire, comme le souligne Calvino2, Dante, Bonnefoy ou Ovide, lorsqu9il affirme « les
classiques sont ces livres desquels on entend habituellement dire : « je suis en train de relire » et jamais
« je suis en de lire ». Plus loin, Calvino ajoute :
« Les classiques sont des livres qui exercent une influence particulière aussi bien en s9imposant
comme inoubliables qu9en se dissimulant dans les replis de la mémoire par assimilation à
l9inconscient collectif ou individuel. »
« Notre classique est celui qui ne peut pas nous être indifférent et qui nous sert à nous définir nous même par rapport à lui, éventuellement en opposition à lui. (&) »
« Est classique ce qui tend à reléguer l9actualité au rang de rumeur de fond, sans pour autant
prétendre éteindre cette rumeur. »3
La poésie universelle d9Hélène Dorion renvoie en effet chacun à ce qu9il avait enfoui d9évident, et chaque
lecteur comprend que ce recueil ne parle que de lui, d9autant mieux que le livre nous extrait, pour nous en
délivrer, du brouhaha immédiat qui nous fait souvent nous tromper d9urgence. A bien des égards, Mes
forêts assume, sans fanfaronnerie mais sans fausse modestie non plus, de devenir « un classique ». Si l9on
se rappelle bien, le manifeste de Calvino débute (comme toute littérature ?) avec L9Odyssée, et de même,
la première section de Mes forêts commence par « le navire de feuillage », « le chant de vagues » et « les
mâts de nos rêves » pour revenir à une Ithaque intime où la locutrice déclare « prendre le large vers [m]oimême ».
Que chacun se rassure, étudier Mes forêts ne revient pas à éviter Rimbaud ou Ponge. D9ailleurs, quand ce
dernier écrit, à propos du pin que « c9est toujours plus haut que cela se passe. Il semble qu9on ait gagné
Hélène Dorion voit ce nom comme un substantif épicène, ce que l’on veut respecter ici
Italo Calvino, Perché leggere i classici (1981) : « I classici sono quei libri di cui si sente dire di solito: