Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 26
Dans Mes forêts, une poésie syncrétique
Dernier trait de la poésie de Dorion, l9aspect très centrifuge puisque l9Tuvre assume une pluralité
d9influences, d9échos et d9hyperliens avec
d9autres auteurs et plus largement, artistes.
Voilà donc un recueil qui s9emploie à ne pas se
borner à lui-même.
Les quatre sections du recueil sont d9abord
raccordées à des poètes du continent
américain : l9argentine Silvia Baron-Supervielle,
les Américaines Kathleen Raine et Ann
Lauterbach, ou encore la québécoise Annie
Dillard. Ces épigraphes forment à la fois un
groupe homogène (femmes, poètes, conscience
écologique du moins naturaliste prononcée)
mais elles ne sont que la face émergée de tout
un hypo- et hyper-texte qui invite à franchir les
frontières
géographiques,
linguistiques
temporelles puisque dans le corps du texte, les
évocations vont jusqu9à Rilke, Dante et à la
mythologie grecque ; parfois, le recueil va audelà même de la littérature puisque même
Galilée ou Giordano Bruno sont aussi évoqués.
Le phénomène de débordement n9est que
d9apparence puisque le texte qui pratique le
plus cette sortie de route contrôlée est l9avantdernier texte, intitulé « Avant la nuit » (juste
avant le « refrain » conclusif évidemment intitulé
« Mes forêts »), n9est pas sans logique ; on peut
voir se dessiner des cercles concentriques
successifs, à partir de grands ensembles que
forment une ou plusieurs strophes sur le même
thème : la famille, puis les Amériques (où il est
question de JFK) puis l9Europe lointaine pour
Dorion, avant d9amorcer le retour à soi, à la
« connaissance de soi » de sorte qu9on devine
qu9à mille lieues de l9anarchie, le poème
propose un décentrage à valeur initiatique :
partir de soi doit nourrir la confirmation de soi,
ce que confirme le tout dernier poème conclu
par le pronom « moi-même ».
Une poésie familière
La poésie de Dorion nous dit forcément
quelque chose : elle est versifiée, ce qui permet
de solliciter immédiatement l9effort de lecture
et de structuration de la respiration puisque la
fin de la phrase n9est pas la fin du vers et que
cela pose forcément très vite la question du
rythme de lecture tout comme celle du sens du
texte lu tout comme celle du corps (le corps
inspirant qui calibre son souffle pour lire).
Elle croit en outre en la force de résonnance et
de rémanence du mot (des mots sont scandés
jusqu9à la litanie, comme « mes forêts » qui se
répétant aux bornes du recueil ainsi que dans
un même poème, sous la forme de refrains ou
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