Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 29
La poésie de la nature
Didactique de la nature
Il conviendra d9abord de définir ce qui est
entendu par « nature », terme on ne peut plus
polysémique : parlera-t-on de la nature comme
essence des choses par opposition à leur
devenir ? Ou bien de nature au sens de
« tempérament, caractère » ? Reviendra-ton sur
la nature connotée neutre, basique, simple
socle sans additif comme on parlerait d9un goût
nature pour quelque denrée alimentaire, par
opposition au superflu et à la sophistication ?
La première signification qui nous vient
pourtant à propos d9Hélène Dorion, ravivée
encore récemment par sa tribune dans le
Monde45 en faveur d9une prose de conscience
écologique et philosophique suite aux méga
feux canadiens du printemps et de l9été 2023
(« Au milieu des flammes, que nous manque-t-il
pour sentir que nous sommes ce qui brûle avec
les arbres ? »), est la nature comme espace
premier, écosystème vital et poumon vert du
c9est la façon d9assigner à la nature une valeur
philosophique (la nature nous raconte une
histoire éclairante sur notre condition humaine)
doublée d9une force transcendantale, en ce
qu9elle permet à l9homme d9exprimer des
dimensions inédites en lui, le révélant tantôt à
sa capacité sociale et politique, tantôt à sa
compétence poétique, l9amour étant pour
Virgile une création comme une autre.
La nature se pose comme supérieure mais
domptable dans l9exorde des Géorgiques, selon
une chronologie finement organisée qui
esquisse déjà les termes de l9accomplissement
humain que le poète assigne aux Romains et à
Auguste en particulier, de la récolte ( seges) au
travail de la terre (terra), des végétaux d9abord
l9orme puis les vignes (vitis) puis la conduite
des troupeaux ( cura bovum) et l9apiculture
(parcae apes ) avec des abeilles qualifiées de
parces, c9est-à-dire « frugales, économes ».
Quid faciat laetas segetes,
quo sidere terram
LA NATURE NOUS RACONTE UNE
HISTOIRE ECLAIRANTE SUR NOTRE
CONDITION HUMAINE
Vertere, Mæcenas, ulmisque
adjungere vites,
Conveniat ; quae cura boum ,
qui cultus habendo
vivant terrestre.
La poésie de la nature, si nous parlons bien de
cette nature-là, est très vite organisée en deux
expressions
complémentaires,
dès
les
Géorgiques de Virgile : exaltation quasi
mystique des forces bucoliques, vues comme
des entités divinisées à la fois surnaturelles,
surpuissantes, et extérieures à l9homme (ce
dernier pouvant ou s9en inspirer ou espérer
communiquer voire communier avec elles, ou
bien décor prétexte à la réflexion sur les devoirs
humains auquel cas la nature est moins une
inspiration qu9un modèle. Ce qui lie les deux,
45
https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/13/lapoetesse-helene-dorion-au-milieu-des-flammes-que-nous-
Sit pecori; apibus quanta
experientia parcis ,
Hinc canere incipiam.
La succession permet à Virgile d9apprivoiser la
nature au fil des vers, comme si le travail des
vers équivalait ou doublait le travail de la terre :
du simple prélèvement (le ramassage) à la
culture de végétaux passivement utiles (l9orme
au bois dense, quasi imputrescible, utilisé pour
la construction, tant domestique que marine)
puis activement et méthodiquement productifs
manque-t-il-pour-sentir-que-nous-sommes-ce-qui-bruleavec-les-arbres_6177405_3232.html
28