Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 3
quelque chose »4, on croirait que c9est Rimbaud qui a rêvé ces phrases et Hélène Dorion qui les aurait
écrites.
Les enseignants soucieux de faire étudier aussi des auteurs vivants ont enfin l9opportunité, avec
l9inscription d9Hélène Dorion au programme national d9Tuvres de Première, de pouvoir promouvoir une
poésie produite par une femme qui est de la même génération que nous et vit dans le même monde que
nous. Avec le recueil d9Hélène Dorion, la littérature qu9on fréquente pour soi devient aussi celle qu9on
transmet aux élèves. Je me réjouis pour eux et leurs classes qu9ainsi soit illustré ce principe, faire étudier
les Tuvres que l9on aime, que j9ai si souvent défendu, et qui ne fait jamais que reprendre la parole d9Italo
CALVINO :
« Je m9efforce de préserver du temps, le plus possible, pour les lectures désintéressées, pour les
auteurs qui me plaisent, riches de substance poétique, le véritable aliment en lequel je crois. »
En donnant une définition d9un classique, à savoir une foi exprimée dans ce que l9on sait être sa nourriture
vitale 3 autant dire son unique chance 3 Calvino, dont le monde littéraire fête en cet automne 2023 le
centième anniversaire de la naissance, comme Hélène Dorion dans Mes forêts, comme le professeur de
français qui transmet ce qu9il aime le plus dans sa vie, nous aident à tracer la ligne blanche entre culture
vide et littérature pleine. La première nous asphyxie, la seconde nous rend le souffle :
« Oh, si seulement je pouvais dormir ici, seul au beau milieu de cette verte fraîcheur et pas dans ma
chambre basse, étouffante ; ici dans le silence, et pas au
milieu de ma famille qui ronfle et parle en dormant et du
grondement des trams dans la rue ; ici dans le noir naturel
de la nuit, et pas dans le noir artificiel des persiennes
refermées, zébré par la réverbération des phares ; oh, si je
pouvais en ouvrant les yeux voir les feuilles et le ciel !» C9est
avec ces pensées que Marcovaldo commençait
quotidiennement ses huit heures journalières 3 en plus des
heures supplémentaires 3 de manTuvre sous-qualifié. »5
Dans
Mes forêts, nous passons du constat
désespéré (« Nous ne sommes pas faits pour respirer ») à la
double exhortation :
« Un poème murmure
Un chemin vaste et lumineux ».
Si jamais on se demandait encore pourquoi faire étudier Mes
forêts, on pourrait avouer que c9est tout simplement pour
l9oxygène, parce que chacun a besoin qu9on lui « parle tout
bas de l9âpre liberté »6 et qu9on lui « parle d9or »7.
Florentina Gherman, IA-IPR de Lettres
Francis Ponge, « Tout cela n’est pas sérieux », Le carnet du bois de pin, in La rage de l’expression, 1956, Gallimard 1976.
Italo Calvino, Marcovaldo, Turin, Einaudi, 1963, trad. française Martin RUEFF, éd. Gallimard/Folio, 2017.
6
Arthur Rimbaud, opt. cit.
7
Francis Ponge, « Le mimosa », La rage de l’expression, 1965.
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