Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 30
l9annonçant - le hêtre ( fagus) et ses propriétés
couvrantes, l9adjectif silvestris découlant du
substantif désignant les bois, et l9ombre
(umbra) auxquels on peut même ajouter le
flûtiau rustique, l9 avena, élaboré à partir de
pailles d9avoine 3 voulaient indiquer d9emblée
la dimension initiatique de la nature. Virgile a
ménagé comme une alternance ombre/lumière
dans la façon dont les mots se présentent (le
recouvrement au v.1 « patulae recubans sub
tegmine fagi » et l9« umbra » étant entrecoupés
par la formulation de la réalité sylvestre
« silvestris » puis « silvae ») indique une marche
à suivre pour envisager les sentiments et leur
périple aussi incertain que vivifiant : les
contraires s9attirent et rien n9est jamais figé. La
nature, loin d9être un simple décor, se charge
Pour autant, l9arbre demeure une constante
ici d9une valeur symbolique.
dans son Tuvre puisque dès les Bucoliques , il
tient un rôle prépondérant dans la formation C9est, dans les deux cas, cette présence très
des hommes (qui devront, selon les riche de la nature dans le panorama poétique
Géorgiques, se fédérer en société productive et européen auquel on est tenté de remonter
en armée victorieuse). Dans cette pastorale en quand on lit Dorion (dans la mesure où la poète
dix chants, si la nature n9était pas forcément un se revendique explicitement d9un disciple de
modèle à suivre, elle n9en était pas moins une Virgile, à savoir Dante, le poète italien
caisse de résonnance émotionnelle, ainsi médiéval, qui imagine en trois volets une
qu9une
préfiguration
des
soubresauts épopée terrible de l9humanité où un poète
sentimentaux humains : elle revêt donc plutôt serait guidé jusque dans les enfers par un guide
une valeur explicative si ce n9est prédictive.
dénommé& Virgile.) Du De rerum natura de
Lucrèce jusqu9aux poèmes des Romantiques
Tityre, tu patulae recubans
dits « naturalistes » comme Keats, la nature
sub tegmine fagi,
aura parcouru plus de deux mille ans de poésie,
(les vignes qui produisent et du fruit et du vin)
jusqu9à l9élaboration de modèles rentables
calqués sur la vie animale (le bétail puis la
société des abeilles, apologie du modèle pris
sur le règne animal), Virgile proposera dans les
Géorgiques une glorification structurée de
l9homme parallèle à la maturation structurée du
rapport entre l9homme et la nature ; l9arbre (ici
l9ormeau) ne constitue donc qu9une étape (le
labour, les sols, le bétails, les abeilles vont en
effet former les quatre chants des Géorgiques)
dans la voie de l9accomplissement de l9homme
et des héros au sein de la nature. La nature sert
le discours didactique et normatif qui doit
ordonner la vie sociale et même politique des
hommes.
Silvestrem tenui musam
meditaris avena ;
Nos patriae fines et dulcia
linquimus arva ;
Nos patriam fugimus ; tu,
Tityre, lentus in umbra,
Formosam resonare dotes
Amaryllida silvas.
Dans l9adresse inaugurale de
Mélibée à Tityre, on est frappé par
l9accumulation des termes se
rapportant à la forêt. On remarque
que la forêt ( silva) se construit peu
à peu, comme si les termes
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