Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 55
selon l9usage, une seconde fois selon les
souhaits de l9auteure).
Le rapport de Dorion à la musique n9est ni
inédit ni exceptionnel, et d9ailleurs, on
rappellera que le titre du recueil précédent chez
Bruno Doucey était éloquent : Comme résonne
la vie (2018) tandis qu9en 2018 est paru Pas
même le bruit d9un fleuve ( éd. Alto).
Pour mes forêts, la playlist fournie est
constituée d9un lot de 29 références,
agglomération de solistes, duos, trios mais
présentée, sous forme de playlist c9est-à-dire
idéalement, à l9image du recueil tel que le
conçoit Dorion, comme une écoute continue,
d9un seul tenant, un titre en appelant un autre.
Les références y surtout anglosaxonnes, parfois
scandinaves,
relèvent
d9une
forme
exclusivement instrumentale (l9humain n9y est
plus central, s9éclipsant au profit d9une entité
qui le dépasse, qu9elle soit concrète comme le
monde ou immatérielle comme le souvenir ou
le sentiment).
Le travail musical repose quasi exclusivement
sur les cordes (piano ou violoncelle). On y
trouve des noms plus ou moins connus, comme
Nils Frahm, Angus McRae, et des groupes dits
indie ou alternatifs tels que the Library tapes,
the Brambles, Alice in winter. La musique
électro, réalisée par des artistes souvent jeunes,
repose sur un style néoclassiques, avec des
mélodies répétitives (souvent un seul motif,
déployé sous la forme de boucles) des effets
d9échos & de réverbération, ainsi que
l9utilisation du looping : le résultat est un
accompagnement sonore propice à la
méditation et l9introspection.
volontiers cinématographiques) mais elle
suggère, en recourant souvent aux mêmes
artistes, que l9art a une vertu consolatrice, en ce
qu9il laisse un refuge constant dans un monde,
lui, fragilisé et craquelé (celui de « l9écorce
incertaine », de la « brèche » et de la
« déchirure » décrits dans le recueil).
Titre
Le titre Mes forêts fait référence à cet espace
naturel devenu territoire littéraire, tout à la fois
marge inquiétante (subversion et merveilleux),
zone refuge, zone de transgression et zone de
résistance héroïque chez Tristan et Yvain (tout
comme pour Madame de Clèves et Nemours)
mais aussi lieu initiatique pour Dante dans
l9Enfer. L9emploi du possessif qui dé-neutralise
l9espace pour afficher l9appropriation subjective
et affective lui aussi se charge immédiatement
de disqualifier l9interprétation qui ferait de Mes
forêts un recueil écologique ou simplement
naturaliste.
Dans cette playlist, plusieurs artistes sont
récurrents, imitant là-aussi le rythme entêtant
de Mes forêts : le groupe australien The
brambles, le compositeur et pianiste
néerlandais Joep Beving, la violoncelliste
américaine Julia Kent, Alice in winter et le
compositeur et pianiste anglais Angus McRae.
Non seulement Dorion y construit un paysage
mental stable (l9ensemble forme un lot plutôt Le titre ne renie pas l9évidence, telle que pour
homogène de musiques actuelles reposantes et une canadienne et une québécoise en
particulier, la forêt est l9espace inévitable,
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