Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 56
forcément familier (Faut-il rappeler que si les mot « forêt » que joue Baudelaire dans
forêts occupent 1/3 de la surface de la France, « Correspondances » (où la métaphore filée est
elles couvrent plus de la moitié du Québec !).
en fait bâtie sur deux métaphores croisées in
praesentia) :
Le recueil a occupé la période de confinement
(2020) d9Hélène Dorion suite à la pandémie de La Nature est un temple où de vivants piliers
COVID-19 et répond aussi au retour sur soi, à Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L9homme y passe à travers des forêts de symboles
son cadre domestique et son paysage Qui l9observent avec des regards familiers.
quotidien auquel beaucoup sont revenus
pendant les mois de lock-down mondial.
Au vu de ce qu9on a dit du système référentiel
Si l9on interroge l9axe paradigmatique, le choix et épigraphique, on peut admettre qu9il y a
du mot « forêt » et non pas, par exemple, de dans Mes forêts bien des occasions de
« bois » (choix de Victor Hugo pour Les s9aventurer et se perdre.
chansons des rues et des bois) ou de
« sylvestre » (titre que le québécois Mathieu Composition
Blais donne à un de ses recueils en 2012), le À noter qu9Hélène Dorion pense moins son
choix de « forêts » se révèle intéressant : il recueil come de la matière à glaner
renvoie, étymologiquement, à l9adverbe latin incidemment, moins comme une proposition
foris [dehors]. Dès lors, le groupe nominal éclatée où le lecteur aurait le libre choix de sa
« mes forêts » a quelque chose d9oxymorique déambulation que comme un fil à suivre, dans
puisqu9il associe l9espace du dehors à l9ordre des poèmes et en tenant compte d9effets
l9intériorité du possessif « mes » : les deux de structure aussi conscients qu9importants,
réalisent la complexe totalité du monde, comme l9explique à Olivier Barbarant en janvier
additionnant dedans et dehors : on voit se 202386 :
dessiner l9opération qui procède, en poésie, de
la démarche cosmologique telle que l9on fait « J9utilise rarement le mot « recueil » pour mes
confiance à la poésie pour dire, de façon livres de poèmes, mot qui donne en effet
follement exhaustive, ce qu9est l9expérience l9impression que l9on a rassemblé des éléments
sensible du monde entier, visible et invisible, épars, que la construction de l9ensemble
aussi bien celle du monde normé et public que importe peu. Tous mes livres sont structurés,
avec une attention particulière aux bornes du
celle de l9intime.
texte, le premier, le dernier poème, aux jeux
L9homophonie de foris, désignant l9extérieur, d9échos d9un texte à l9autre, à leur succession&
avec le fors de la locution « fors intérieur » Mais il est vrai que Mes forêts dispose d9une
(renvoyant au tribunal de la conscience et à unité et d9un mouvement progressif plus
l9intime conviction), mais aussi avec l9adjectif notable encore que dans d9autres. »
fort (par opposition à la brisure) et l9adverbe
fort à valeur superlative (pour marquer Le principe du cheminement linéaire, progressif
l9intensité) ne manque pas non plus d9offrir de et suivi importe d9autant plus qu9il repose sur
belles perspectives.
le rappel de références, comme Dante et son
Enfer dans lequel le poète et son guide Virgile
Les extensions sémantiques du mot,
descendent pas à pas pour engager une
notamment le sens second (désignant un
introspection vitale, qui décrivent une initiation
réseau inextricable, un amas confus (on parle
patiente et régulée, pour ne pas dire ritualisée.
volontiers de la « forêt de signes ») sont aussi
une chance du mot « forêt ». C9est d9ailleurs tant
dans la forêt de Dante
on voit le passé
sur le sens premier que sur le sens second du
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