Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 61
(RAPPEL, le titre de la section est « l9écorce un combat entre la suppression et l9ajout,
l9absence et la présence, dans les affixes tantôt
incertaine »).
positifs tantôt négatifs, (« syllabes informes/
L9instabilité se retrouve aussi dans la gestion
assemble », « referme », « repousse ») de sorte
des images (« l9île flotte », « navire de
que par cette alternance du pire et du meilleur,
feuillage ») en mélangeant deux éléments
c9est une oscillation permanente entre deux
terre/eau. Le mystère plane avec des termes
tendances contradictoires qui s9impose.
évoquant à la vulnérabilité (« vacille » mis en
évident en position d9enjambement en tête du Le poème « les feuilles », de nouveau un
vers 2, « flotte » en clôture de vers, échoués en nonnain, débute par une comparaison
fin de vers également) ou avec le choix d9une (« comme des flammes& », signe de capacité à
allitération lancinante, avec le retour feutré de imaginer (comme précédemment avec « comme
la labio-dentale [v] « vacille », « aveugle », une navire de feuillage » qui cumulait
« navire », jusqu9à « vie » en fin de poème.
comparaison et métaphore) = volonté de
donner du relief à l9expression des sentiments
Le poème « la branche » continue de
et de faire confiance à la poésie. Mélange des
personnifier les végétaux (à ce stade, plus
éléments
et
de
l9humanité
aucune chance pour que le poème ne vise qu9à
(« flammes/étreignent le vide ») avec un début
la contemplation botanique alors) : « l9horizon
qui mime l9étreinte dans le vide (enjambement
craquelle », « le sentier se referme » et la
juste avant que le groupe verbal) et de nouveau
situation semble se corser, avec l9idée de
enjambement au moment du verbe « tomber »
rupture et de l9usure qui envahit le texte :
= volonté de marquer l9esprit du lecteur en
« craquelle », « rongent », « casse » avec une
facilitant la figuration du contenu du discours,
intensification du phénomène : « vacille »
la versification se met au service du sens. Le
devient au pluriel « vacillent ». Et pourtant, des
poème acte la tension fondamentale au cTur
éléments se précisent : « L9arbre » et le
du poème toujours par le mot « alchimie »
« feuillage » du poème précédent sont enfin
(opération savante de fusion des métaux
nommés dans « les forêts », un pronom
précieux), de coordination (vivre et de mourir)
personnel « nous » au cTur du poème apparait,
et d9enjambement qui traduit le pari sur l9avenir
faisant émerger une présence humaine dans le
(d9un vers à l9autre) et pose l9existence comme
tableau et des bases sonores semblent se
un exercice périlleux d9équilibriste.
former, puisqu9on assiste à l9élaboration d9un
tissage sonore avec l9assonance du [o] nasalisé Le poème aboutit au réfléchi « soi » qui
(« horizon », « rongent », « saison ») qui est en concrétise le « je » présent en germe dans le
fait tirée du dernier mot du poème précédent « nous » qui précédait (dont il était une
(« fond »). Le poème commence à avouer composante avec d9autres instances) de sorte
l9ambiguïté de la situation avec, en son cTur, qu9ici, le discours subjectif s9intensifie. Il va de
pair avec la présentification de la forêt, 2 e
occurrence ici du mot déjà croisé à l9identique
supra, mais déjà annoncé aussi par
« feuillage », « l9arbre » et « l9écorce »: par
association d9idées, synonymie ou synecdoque,
la forêt était déjà là, déjà présente grâce au
son [f] (« flotte », « feuillage » puis « fourmis »,
« informes », « forêts » et ici, « flammes »,
« forêts », « parfois »): la forêt se présente à
trois niveaux à nous, de façon manifeste ou
par des indices lexicaux mais avant même cela,
par des suggestions et effets d9annonce que
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