Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 65
Les quatre premières strophes s9appuient sur On peut observer sur tout le poème comme un
de la négation (partielle) : « je n9ai rien& je n9ai glissement de la str. 1 à la str. 2 du discours
concret (l9opposition entre le « chêne » robuste
pas& pas vu& ».
et tout-terrain/ le « saule » plus gracile) au
La négation correspond-elle à un refus de dire
discours philosophique qui renvoie dos à dos «
? D9assumer ? De se livrer ? Est-ce par
faibles » et « puissants ». La poète compte de
prudence, pudeur, modestie ? Est-ce parce que
plus en plus sur nos capacités de déduction et
l9objet du discours est difficile à appréhender
de raisonnement abstrait.
au point de ne se livrer que par bribes ou
ricochets ? Est-ce une façon de dissimuler ou La première strophe consiste en une
au contraire, de stimuler la curiosité des déclaration de renoncement : négation
lecteurs comme appâtés par ces demi- syntaxique (ne & rien), préfixe privatif (dérévélations ?
poser), recours aux antonymes (« l9ombre »
comme contraire de la lumière). C9est dans ces
Les deux strophes finales, suivant la strophe
premières strophes, celles du refus, que
médiane (« pas vu le ciel& La déchirure ») osent
l9humain est présent, presque trop présent (il
la voix affirmative jusqu9à la négation finale qui
sera relayé par les végétaux, les minéraux et les
sonne davantage comme un programme
éléments 3terre, eau, ciel-) : « faibles », «
revendiqué (« Je n9attends rien / de ce qui ne
puissants », « veilleur », « jardinier ».
tremble pas ») que comme un renoncement.
Cette catégorisation (les suffixes -eur, -ier
L9intégralité de ce poème est donc le récit d9une
désignant les agents en attestent) va devoir
initiation : pour dire oui au monde, il faut
céder le pas aux grands ensembles : éléments,
d9abord savoir lui opposer un non réfléchi.
généralités, instances sans spécialisation et
parfois même laissées à l9état de simples
Mouvement général du poème
pronoms neutres (« le temps », « la terre », « la
lumière », le « monde », « ce qui »). Tout le
poème favorise donc la dépossession pour
rendre au monde ce qui lui appartient et dont
l9humain n9est pas le centre absolu qu9il croit.
Premier mouvement
Première
strophe.
Le
poème,
prudemment et pudiquement, démarre par
des indices indirects et une signification à
reconstruire de manière progressive et
déductive.
L9enjambement du vers 1 au vers 2 mime le
mouvement de chute suggérer par le verbe «
déposer ».
Le vers 2 met en valeur le pronom indéfini «
rien » qui est rejeté après un espace
typographique inhabituel : réflexion engagée
sur ce rien qui se rend présent deux fois en
deux vers et qui étymologiquement renvoie à
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