Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 66
quelque chose. Le rien n9est donc pas le nul
et non avenu, ni le néant.
Dorion nous interroge de façon indirecte sur
ce qui n9est pas nommé, nous laissant le soin
de deviner, par contrepoint, ce qui est et nous
laissant le soin de reconstituer le référent
derrière la symbolique du chêne, du saule, et
même de l9ombre.
La seconde strophe prend des allures,
à partir de la première, de réduction, puisque
nous passons d9un tercet à un distique. Ce
dernier revêt dans l9histoire de la
versification, deux vocations en apparence
inconciliables : rendre compte de la parole
morale, sévère, des censeurs (comme Caton),
mais aussi des lamentations élégiaques (chez
Catulle par exemple). De la même façon chez
Dorion, il revêt l9apparence du discours
subjectif et intime (le « je » est le leitmotiv du
poème) mais pour engager une réflexion
morale sur la faiblesse et la puissance, mises, d9action volontaristes, la parole poétique
par la négation corrélée (ni&ni&) finalement choisit un travail minimal : allitérations, parfois
à la limite de la paronymie (vu/veilleur, la mer/le
sur un pied d9égalité.
miel, cueillir/crocus). Aux innovations et
La poète, certes sujet du verbe de parole et opérations sophistiquées, Dorion préfère les
placée à l9attaque du vers et de la strophe, simples modulations : : la troisième strophe est
demeure seule face à ce double pluriel « les marquée par une variation à partir de « je n9ai
faibles » et les « puissants » confondus dans un pas vu », devenu par ellipse, « pas vu » et par
seul et même camp adverse. Comme elle va le légère synonymie « pas trouvé ».
montrer ensuite, à l9action et la démonstration
de force, elle substituera la contemplation et la (Transition) La quatrième strophe consiste en
un quatrain très irrégulier et « troué », avec des
patience.
zones de béance et poursuit l9état des lieux
La troisième strophe se présente sous la négatif, en martelant encore le « rien » isolé au
forme d9un sizain, strophe pratiquée par troisième vers de la strophe. Paradoxalement le
Ronsard, Eluard ou Hugo mais surtout propre à rien ressort comme une proposition en luiMalherbe et Boileau, par Hugo dans ses même, d9autant plus qu9il suit son contraire, «
Châtiments, qui permet d9une pensée morale quelque chose » au vers précédent. L9inversion
pour ne pas dire polémique. Dans ce poème de (haut/bas ; air/eau) est aussi à l9Tuvre entre «
six strophes, trois des strophes sont des le ciel » et « l9étang » séparé par un espace vide.
sizains, attestant de la qualité démonstrative de L9aspect charnière de cette strophe est souligné
ce poème, qui se présente comme une par l9ambivalence fonctionnelle de « dans
réfutation suivie de l9exposition d9un modèle à l9étang », ou bien complément de lieu de « ciel
suivre.
» ou bien complément de lieu de « quelque
L9intervention humaine et le processus de chose de la solitude ». Au moment où le vide et
transformation ou de fabrication sont très le rien sont si marqués, le sens semble donc se
présents : « jardinier », « cueillir », « veilleur », « donner plusieurs directions possibles.
miel », « soie ». Tout à l9inverse de ces modèles
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