Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 67
« Solitude » et « déchirure », tous deux
substantifs placés à la rime, forment un binôme
sonore qui certes rend ces termes
particulièrement stridents mais que l9on peut
aussi inscrire dans le réseau sonore formé avec
« crocus » et « continue »). Le rien et le négatif
n9empêchent donc pas parallèlement la
musicalité poétique qui consacre des alliances
subtiles et retisse du sens, modestement et
patiemment, d9un mot à l9autre et d9une strophe
à l9autre.
La fusion de l9intériorité de la locutrice avec le
paysage extérieur observé peut commencer à
porter ses fruits. Le champ lexical de la vue
ouvre (avec « vu ») et ferme la strophe (avec «
paraitre ») pour la consacrer simple témoin de
la scène ; elle a également disparu en tant que
sujet puisque dans cette strophe seulement, le
pronom de la première personne s9est effacé.
Second mouvement
Les strophes 5 & 6 sont des sizains, qui
reprennent le « je » mais ce dernier désormais
engage une action positive, à la forme
affirmative (« je me suis assise », str.5, « je me
laisse étreindre », str.6). L9énonciation à la 1e
personne n9est plus un préalable systématique
(débutant la strophe par l9anaphore) : il se pose
à présent en tant que résultat (en milieu et fin
de strophe : « je n9attends rien », ce qui prouve
que l9initiation est accomplie. A la dernière
strophe, la locutrice admet arriver, dans le
poème comme d9après la grande chronologie
universelle, après « les animaux », « la lumière »
et le « monde ».
Le positionnement de soi (avant, après, parmi
c9est-à-dire « au milieu de ») est l9enjeu, avec
des verbes souvent pronominaux, c9est-à-dire,
dans la langue française, mettant en cause le
rapport sujet/objet : « S9adresser », mais
également « s9asseoir », « s9infiltrer » et «
s9accorder ». Un même verbe peut être utilisé
de façon transitive puis pronominale : « laisser
paraitre » à la 2ème strophe devenant « se
laisser étreindre » en fin de poème. La fin de
poème mise davantage sur la rencontre
physique active (après la vue, place au geste) («
s9asseoir », ainsi que « s9infiltrer », et «
s9accorder », pour peu que l9on aille au début
de l9étymologie de l9accord, qui ramène au
cTur, « étreindre », « trembler »). Le texte aura
donc orchestré la rencontre enfin mûrie donc
permise avec le monde.
A la cinquième strophe, le sizain va
mettre le « je » liminaire en contact avec les
éléments de façon très progressive, comme
pour mimer l9entrée prudente dans la forêt :
je me suis assise/au milieu de ces vastes
alliés/ sans voix (NOTA BENE « sans voix »
pouvant aussi bien porter sur « s9asseoir » que
compléter les « vastes alliés »). Le rapport
délicat à la nature est signifié par la
désignation volontiers approximative et
ambiguë, périphrastique (« vastes alliés » pour
les arbres ou les étangs ou le ciel et les étang)
et générale avec des éléments désignés par
des termes génériques et au moyen des
articles définis (« le temps », « la terre », « les
rochers »): par contrepoint, la présence
humaine y est d9autant plus modeste.
Le retour au concret naturel est matérialisé
dans le poème par la syllepse « voix » /
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