Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 68
« gorge » (jeu de mots qui nous fait passer du
son au larynx humain au verbe signifiant remplir
mais pouvant par homophonie désigner aussi
l9espace naturel étroit (une gorge dans une
vallée). Le sujet de « gorge » peut aussi bien
être « le temps » que « la terre » juste au-dessus
; l9absence de ponctuation c9est-à-dire de
norme de lecture typiquement humaine
autorise l9équivocité. La fusion de l9humain dans
l9élément n9est pas une perte mais un gain : le
sens s9en trouve démultiplié.
La sixième et dernière strophe débute
avec un nouveau jeu de mots entre le pas qui
est l9élément adverbial constitutif d9une
négation (le fameux forclusif dans « ne& pas »)
et le pas au sens d9empreinte au fil de la
marche. Le pas négatif est ici devenu un pas
progressif, celui qui avance.
La lumière, qui répond à l9ombre du début du
poème, peut désormais répandre son rayon par
l9irradiation consonantique de la liquide [l] dans
la strophe : « lumière », « lenteur », « laisse » et
on se rend compte qu9elle était déjà annoncée
à la strophe précédente par « alliés », « le temps
», « infiltrer », mais on n9était alors pas en
mesure de la voir puisqu9on n9était pas réceptif
aux éléments de la nature (on n9était pas encore
assis « au milieu » de la nature).
locutrice (pour la première fois dans le recueil,
celle-ci se dévoile d9ailleurs par le genre féminin
: « je me suis assise »). Par ricochet et
contrepoint, nous la voyons se déposséder de
l9avoir, des enjeux de pouvoir, des tentations de
la hiérarchisation (qui oppose et fait croire à
des puissances illusoires), au profit d9une
relocalisation de soi dans la nature, le monde
et le poème.
Ouverture
Il met en Tuvre également une relocalisation
de la locutrice aussi dans la parole finale qui
semble lacunaire (l9indéfini « rien », quel
contenu au neutre dans « ce qui » ?) « je
n9attends rien / de ce qui ne tremble pas » mais
dont la formulation comme le fond doivent
beaucoup à la grande influence de Dorion,
Albert Camus, qui avait déjà produit ce type de
sentences mystérieuses, simples d9apparence
mais fortes dans leur éthique inébranlable, à
rechercher dans Postérité du soleil (où
rayonnait alors une lumière provençale) : « Ici
vit un homme libre / Personne ne le sert ». Déjà
avec Camus, on lisait le même paradoxe pour
qui refuse les schémas traditionnels (où il
faudrait, pour exister, posséder et dominer),
même affirmation qui sait dire non, un non
fondamental pour dire oui à la liberté.
L9allitération en [l] dans cette dernière strophe
est adoucie par le couplage avec la labiale [m],
la consonne fondamentale des débuts de
l9humanité, au sein du même mot « lumière »,
où répartis entre deux partenaires sonores «
lenteur / monde », « me / laisse ». La notion de
collaboration indiquée par le verbe s9accorder
est mise en application de façon presque
musicale par la collaboration entre plusieurs
sons ici. C9est une leçon d9harmonie que permet
la nature.
Conclusion
Bilan
Le poème se présente comme une sorte de
confession énigmatique, prudente, le poème en
dit beaucoup plus long qu9il ne veut faire croire
(par ses tournures floues et indirectes) sur la
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