Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 71
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dureté (et qui alors jurerait violemment avec
le mot suivant à la rime, douceur) mais à la
durée de temps = jeu de mot avantageux
ici.
Enjambements qui créent cette durée
évoquée, en faisant s9étirer les phrases pardelà les limites des vers : « elles sont des
lignes au crayon / sur papier de temps »
mais aussi « un rayon qui dure / dans sa
douceur ».
Verticalisation : tension vers le sacré et la
rédemption (« nuages », « rayon »)
Continuité (tous les ingrédients de la
reconstruction étaient là dès le début) en [p]
qui
traverse
le
poème (« pointes »,
« papier », « passage », « peu », « pluie »,
« promène », « prendre) mais qui s9intensifie
au second mouvement, à partir du moment
où le « papier » (de l9écriture, de la page) est
nommé = intensification de la musicalité et
renforcement de la cohérence du poème à
partir de là.
Reprise en main de soi, réhabilitation de
soi : à la dernière strophe, avec trois formes
en trois vers de la première personne (sujet
« je », objet « m9», et réfléchi « moi-même).
Vers final qui nous rappelle que le poème,
comme le recueil, est intitulé « mes forêts »
et renvoie à un écosystème géographique
mais dans ce poème, les compléments de
lieu sont en fait des affaires de temps (« à
travers les saisons », « dans la nuit rare ») et
d9intimité (« dans la gorge »). La fin du
poème consacre la poète comme son
propre lieu (« vers moi-même ») (sa propre
base), en faisant de soi un locatif
directionnel. Si, dans « Mes forêts » le lieu
était subjectivé (les forêts devenaient
personnelles), en fin de recueil, « vers moimême », le personnel devient un lieu. En
somme, un échange de bons procédés,
chacun devenant l9autre, la fusion
nature/humanité étant enfin aboutie. La
poésie aura opéré ce glissement réciproque
nature/intime.
Conclusion
Bilan
Le poème propose de refaire l9histoire
de la conversion qui s 8est opérée de la
destruction à la reconstruction. Ce dernier
poème officialise aussi la pertinence du
parcours, puisque c9est par la poésie que
l9intime et la nature peuvent ensemble non
seulement traduire le moi mais aussi, surtout, le
légitimer et le renforcer. Tout le recueil est à
entendre comme un récit initiatique, par étapes,
(cf. les préfixes à valeur de récurrence,
« retrouve »,
« repentirs »,
« résout »,
«
recommencent », « retour ») avec des repères
fréquents (le recueil est balisé par le leitmotiv
« mes forêts »).
Ouverture
Comme dans le premier poème intitulé « Mes
forêts sont& » on devine que le double enjeu
est moins l9espace que le temps d9une vie
humaine, une expérience à apprivoiser (« Mes
forêts sont de longues trainées de temps &
Mes forêts sont de longues tiges d9histoire ») :
démarche psychologique, philosophique et
poétique bien-sûr puisque ce cheminement ne
se fait que par l9écriture. Forêt initiatique, lieu
de la révélation de soi et au monde chez Ph
Jaccottet aussi, dans Airs, 1961-1964 :
Arbres I
Du monde confus, opaque
des ossements et des graines
ils s'arrachent avec patience
afin d'être chaque année
plus criblés d'air
[&]
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