Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 72
Parcours associé
Texte : Olivier Barbarant, extrait de
Séculaires
Olivier BARBARANT, extrait de « La clé de chair »,
Séculaires (Gallimard, 2022 : pp. 26-27)
5
10
15
20
25
L9attention 4 dans les deux sens possibles de la vigilance et de la
délicatesse 4 enseigne très exactement ce qu9est la vie pleinement
vécue, c9est-à-dire la relation. Ce que m9apprit de me blottir et
m9écorcher contre la belle forêt d9arbres humains dont ce fut ma vie de
la parcourir, toutes branches vibrantes d9une tempête particulière en ce
qu9elle naît non du dehors, mais du plus profond de leurs racines, ce
qu9ils ne cessent de me transmettre, c9est une leçon de mise en relation
valant pour les êtres, les autres, pour des pans moins intimes de la vie
sociale aussi, et qui n9a jamais manqué de m9enseigner à mieux percevoir
un paysage, une fleur, une rue quand le jour s9y engouffre avec le vent
de l9aube, un débris de lumière à l9arête d9un toit...
L9homme est poreux. Il n9a pas d9autre activité au fond que de se relier,
d9atteindre, dans la poignée de décennies qui lui est donnée, les
morceaux de monde, les portées de temps, ce qu9il croise au hasard de
ses mouvements et d9une disponibilité mentale et affective : vivre, c9est
pour lui faire attention. Nous ne sommes qu9accueil. Rien d9autre.
On ne s9accomplit, on ne se réalise jamais que dans l9appréhension et la
compréhension de ce que le dehors s9ajoute à nous-mêmes, ou plutôt
qu9il nous fonde et nous contient, et qu9il n9y a de sens et de conscience
que dans ces justes conjonctions.
C9est la rencontre qui fait un monde, alors que ses éléments disjoints ne
révèlent que des blocs inertes et absurdes.
Ajouter, ajuster : telle est la tâche. Incessante. Merveilleusement
évolutive.
Les hommes ainsi sont des verres : coquilles, réceptacles dont la
présence ne s9allume qu9à recevoir ce qui les colore, et les fait ainsi
resplendir. Et comme des verres, ils tintent rien qu9à se toucher.
Soleils, mains d9hommes : vous n9avez pas fini de m9affûter.
71