Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 75
exemple « enseigne » - ou encore les termes
abstraits renvoyant à des valeurs plus qu9à des
réalités concrètes tels que « la délicatesse » ou
« la vigilance »). Pourtant, l9entrée en matière
offre le modèle d9une réflexion plutôt
accessible : le poète se réfère à « la vie » plus
qu9à son doublon métaphysique « l9existence »,
et parle de « sens » plus que de « signification ».
Même, une dynamique entraînante que
n9entrave pas l9aspect explicatif entre tirets,
repose sur la propagation de la vélaire
vigilance/vie/vécue, comme si les trois
d9emblée, voulaient afficher leur complicité.
« leçon » par la suite) va servir la mise en
balance de deux domaines, celui d9abord plus
intellectuel de la didactique et celui, infiniment
plus universel, de l9expérience sensible du
monde : l9apprentissage par trois fois sur les
quatre tenants de ce champ lexical de
l9apprentissage
sont
des
verbes
(successivement « apprendre », « enseigner »,
« transmettre »), indiquant que la vie et la
relation au monde se vérifie en actes et qu9il
requiert, dans l9action-même, un engagement
ainsi qu9une énergie propres.
Ce rapport actif au monde est particulièrement
rendu par le choix à deux reprises de verbes
pronominaux, ces formes verbales qui en
français correspondent à des semi-passifs ou
des déponents d9autres grammaires : on déduit
qu9« être
au
monde »,
expression
heideggérienne désormais consacrée que se
garde bien d9employer O. BARBARANT, est ici à
remplacer par faire-être-fait au monde, qui
engage chacun de façon beaucoup plus
dynamique et dialectique avec les autres.
De surcroît, la première phrase de l9extrait,
permet par la référence à Proust (« la vie
pleinement vécue89 »), une sortie de la
considération philosophie purement théorique
pour revenir à l9art ce que confirme la mise
entre tirets (soulignant « le deux sens possibles
de la vigilance et de la délicatesse-) : la
mention linguistique moins pour faire valoir la
maitrise savante du lexique pour affirmer la
conscience de la richesse de la langue et aussi
offrir à l9autre de cette relation-là, le lecteur, le
D9apparence inconciliables, « se blottir et
meilleur degré d9explication possible.
s9écorcher » sont censés résumer en deux
Bref, la première phrase du texte promeut mais verbes ce qu9est toute une « vie », terme repris,
surtout met elle-même en Tuvre, plus qu9une à l9identique, de la première phrase : un rapport
hauteur, une certaine qualité, culturelle et presque enfantin, primordial en tout cas au
scientifique, de la relation au lecteur.
La deuxième phrase du texte, à partir
du tour présentatif « ce que m9apprit
[&], c9est une leçon [&] permet au
locuteur de dépeindre et installer son
rapport au monde et à la nature dans
le temps long d9une phrase
complexe, ce qui matérialise déjà
l9importance
mais
aussi
la
progressivité de ce rapport à la
nature et aux choses. Le choix du
verbe apprendre (après « enseigner »
plus haut et « transmettre » puis
89
Marcel PROUST, dans Le temps retrouvé (1927), conclut
que « la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la
seule vie par conséquent pleinement vécue, c'est la
littérature. Cette vie qui, en un sens, habite à chaque instant
chez tous les hommes aussi bien que chez l'artiste. ». Cette
réflexion arrive au terme de la Recherche, après que la
narrateur a tout vécu : les élans amoureux, la jalousie, la
mort des êtres chers, les salons mondains comme les
drames intimes, la guerre et surtout l’épreuve
déterminante du temps qui dilue certains êtres (Odette)
pour en révéler d’autres (le baron de Charlus par exemple).
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