Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 77
seule et celle d9un humain conscient d9être
parmi les humains : « l9homme est poreux », ce
constat brut dans lequel tient la thèse de cette
argumentation poétique tient en une brève
phrase simple, bâtie sur un schéma grammatical
rudimentaire (sujet/verbe/attribut). Dès que la
mise en Tuvre de son enracinement dans le
monde et de ses embranchements avec autrui
est décrite, la phrase peut donner libre cours à
sa vivacité et se déployer jusqu9à la
récapitulation aussi simple qu9insistante
(puisqu9elle reprend le premier terme de notre
extrait), « vivre, c9est pour lui faire attention. ».
Mais l9enjeu n9est pas seulement ici rhétorique,
car il ne s9agit pas seulement de servir la mise
en relief du présentatif final et du terme de
clôture. Il en va ici également de l9attractivité de
cette argumentation, impatiente et irrésistible,
qui veut déjà nous donner ce qu9elle nous incite
à obtenir : après avoir annoncé la thèse (la
condition de l9homme le rend forcément
reliable), le poète en fournit en effet aussitôt le
meilleur argument, que l9on devine au rythme
enlevé des énumérations (les morceaux de
monde, les portées de temps, ce qu9il
croise& ») à savoir la joie, car il y a
manifestement, ostentatoirement du bonheur à
être avec d9autres.
En deux paragraphes, au fil des polyptotes, on
sera passé de la « la vie [&] vécue » (l.2) à « ma
vie » (l.14) à « vivre » (l.14) : de la généralité
abstraite à la vie intime (ce qu9indique le
déterminant possessif) à l9action présente. Cela
peut expliquer la décroissance rythmique juste
après, avec coup sur coup, deux phrases de
nouveau simples, « nous ne sommes
qu9accueil » (sujet/verbe/attribut) et même,
elliptique pour ne pas dire minimale (« Rien
averbale).
Non
seulement
d9autre. »,
l9argumentation gagne en force par ces choix
d9écriture mais aussi, le fait est que le temps de
l9action (de vivre) prend le temps de la
rhétorique ; il n9est plus tout à fait temps de
discourir (sur la vie) mais de vivre, justement.
Troisième paragraphe : l.15-19
Dès la ligne 14-15, l9ouverture de l9homme à ce
qui n9est pas lui, a permis la rencontre avec ses
pairs (d9où le pronom de la première personne
du pluriel « nous »), et mieux encore,
l9effacement de soi dans des entités plus
éthérées encore, comme l9indéfini neutre qui
scande le début du quatrième paragraphe,
reprenant l9usage de l9infini « rien » à la toute
fin du paragraphe qui précédait. L9entreprise de
dépossession, de dés-égotisation si l9on veut,
n9est qu9un passage, nécessaire, vers des
retrouvailles encore plus franches et intenses
avec soi, ce que l9on trouve dans le réfléchi
« nous-mêmes »
(l.17).
La
rencontre,
déterminante et réparatrice, avec l9autre, se
dévoile dans les affixes : d9abord le
cheminement qu9elle offre, par le préfixe
directionnel
latin
« ad »
(« accomplit,
« appréhension ») puis dans un second temps le
préverbe « cum » de la réunion dans la
succession de « contient », « conscience » et
« conjonction ».
Troisième mouvement : la poétique de la
relation90
Quatrième paragraphe : l. 20-21
Le quatrième paragraphe s9inscrit dans la
lignée des accomplissements du précédent ;
l9effet d9écho à partir « attention » que l9on a
retrouvé (l.12) dans « monde », puis (l.16) dans
« accomplir », « compréhension », et dans le
quatuor (l.16-19) « fonde », « contient »,
Même si pour Olivier Barbarant, l’expression de Glissant
systématisée par Chamoiseau relèverait plus d’une poésie
de la relation&
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