Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 78
« conscience », « conjonction » a fait résonner
(et même « tinter », verra-t-on par la suite) un
monde devenu inévitable, devenu en quelques
paragraphes, notre appui certain et inévitable ;
le monde est l9ami qui ne dérobe pas et se
rappelle donc à notre bon souvenir sonore.
Il n9est donc pas étonnant qu9à l9orée du
quatrième paragraphe, « rencontre » et
« monde » offrent deux ultimes répercussions
phoniques. A l9inverse, ce qui ne répond pas, se
révèle d9autant plus proprement, littéralement
« absurde » (l.21). Ce bref paragraphe ne
néglige cependant pas de dessiner deux
irréconciliables : d9un côté le monde du partage
où tout résonne et communique, et de l9autre
côté, le monde sans musique ni écho. Le lecteur
n9est pas face à une délibération puisque la
phrase, jouant aussi bien sur les sons que le
sens, les acceptions modernes et populaires
d9une part, et celles savantes et étymologiques
de l9autre, donne déjà le meilleur d9elle-même,
c9est-à-dire de ses possibilités sémantiques,
historiques et poétiques au lecteur ; sans
dilemme, le lecteur est déjà pris dans une
relation qui donne avant que de réclamer et
parie déjà sur lui, illustration parfaite de la
délicatesse (l.1) et invitation à relire les verbes
coordonnés du début « se blottir et s9écorcher »
moins comme une antithèse que comme une
succession à laquelle toute relation, emportant
avec elle le risque de sa propre extinction ou
de sa propre maldonne.
Cinquième paragraphe : l.22
Théorie et pratique à la fois, le texte montre la
voie au lecteur dans un paragraphe fulgurant et
cependant programme à lui tout seul :
« Ajouter, ajuster : telle est la tâche. Incessante.
Merveilleusement évolutive. » propose en effet
à la fois la matérialisation de l9élan vers l9autre,
qui s9y reprend à deux fois (préfixe ad- pour les
deux verbes, ajouter, ajuster), évolution et
transfiguration de la tonalité comme annoncé
(puisqu9il s9agit d9ajuster), le [a] des verbes et
91
Résurgence apollinarienne ? Le fait est que « le verre »
intéresse particulièrement l’auteur d’Alcools, dans « Nuit
rhénane » et encore davantage dans avec le « Poème lu au
mariage d’André Salmon ». Cependant, nous pensons
de « tâche » se travestissant ensuite dans la
nasalisation d9 « incessante » et, joie de la
rencontre traduite par la gradation des groupes
de mots successifs qui forment la qualification
de
cette
tâche
« incessante »
puis
« merveilleusement évolutive », de trois à neuf
syllabes. On déduit aussi que cette relation
offerte, risque compris, est une invitation au
voyage dans la liberté, puisque les deux verbes
qui sont au cTur de l9incitation sont livrés ici
sans objet : aucun COD pour ces verbes
(« Ajouter, ajuster ») à l9allure intransitive
quand, à l9ordinaire, ils ne le sont pas. La
transaction avec l9autre se passe de monnaie
d9échange, l9acte-même de parlementer et
pactiser rendant superflus paraphes et
codicilles divers.
Sixième paragraphe : l.23-25
L9avant-dernière strophe change d9image.
Après celle de la forêt, passage de la terre au
minéral apte à sceller l9union du son et de la
vue, par le biais d9une équivalence scolairement
posée littéralement, sous la forme d9une
présentation (sujet, complément
de
comparaison verbe, attribut du sujet : « Les
hommes ainsi sont des verres » et l9analogie se
souligne elle-même puisque la comparaison se
confirme avec la mention à la phrase suivante :
« et comme des verres »91. L9image choisie n9est
pas une métaphore consistant en un effacement
(du référent au substitut) ; au contraire, elle
veut servir la mise en relation, en présence l9une
de l9autre des deux réalités évoquées, illustrant
surtout au « verre » qui, au terme de la première
« Rhénane », avec une disposition identique, surgit dans
« Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire » : lui aussi,
mis en valeur car rejeté au-delà du saut de ligne.
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