Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 79
la thèse de départ : rencontrer n9est pas
renoncer, mais bien ajouter, démontrant par là
que pour le poète, la poésie est encore la
meilleure argumentation possible.
appelée à « resplendir » (l9opération de
transformation étant repérable à « qui les fait
resplendir »), d9où l9on mesure à quel point la
relation à l9autre nous change et, selon un
processus
presque
michaldien92,
nous
métamorphose, l9autre démultipliant qui nous
fûmes. Mutante, mouvante et émouvante, voilà
la vie que la relation à l9autre nous promet,
selon les contours que le poète fait ici voir.
Elle est même à la fois la thèse et l9exemple.
Joignant en effet le geste à la parole, ou plutôt,
le son à l9image, le texte tinte lui-même offrant
une série d9échos par allitérations voire reprises
syllabiques : « coquilles » appelle « colore »,
« réceptacles » engage « recevoir » puis Septième paragraphe : l.26
« resplendir », tandis que le verbe « tinter »
Le saut de ligne entre le sixième et le septième
amène « toucher ».
paragraphe interroge à double titre. Cet espace
Le développement de l9image (entre « sont des typographique laissé permet la propagation
verres » et « comme des verres ») se présente des ondes sonores dégagées par les verres que
sous la forme d9une double apposition qui nous l9on fait tinter, ce qui peut expliquer également
fait partir de l9élément marin voire amphibien le retour de la fricative [f] (« fini », « affûter »).
(« coquilles ») pour accéder au ciel et au divin
Ce saut de ligne ménage aussi un temps de
(« s9allume », toujours avec le goût du
transition avec l9adresse finale, qui, après des
pronominal) et « resplendir ». Paradoxalement,
considérations plus générales et une mise en
le développement de l9analogie nous fait perdre
Tuvre poétique de l9éthique de la relation,
en certitude : passer d9être (« sont des verres »)
revient à l9incarnation particulière de la
à être comme (« comme des verres ») démontre
relation : le poète peut enfin, après avoir
la nature forcément asymptotique de la relation,
reconnu et vanté le plaisir de la relation, tenter
y compris d9analogie : plus on s9approche,
le discours direct, « soleils, mains d9hommes :
moins on se fige et moins on s9emprisonne. En
vous n9avez pas fini de m9affûter. » A la
découle une vie revigorée, (celle qui déjà de
première personne du début (que l9on devine
« vie », ligne 2, avait conduit au verbe « vivre »
au possessif « ma vie d9homme ») succède
de la ligne 14) traduite par une accumulation
l9apostrophe et l9énonciation à la deuxième
de verbes d9action grâce aux subordinations et,
notamment, aux constructions infinitives :
« [&] dont la présence ne s9allume qu9à
recevoir ce qui les colore, et les fait ainsi
resplendir. Et comme des verres, ils tintent rien
qu9à se toucher. » La relation à l9autre fait
exister et accomplir d9autant mieux, tel est le
premier gain.
La quête de l9autre est sans fin. En un
paragraphe, « les hommes » sont devenus, par
le jeu des appositions, des reprises de termes
et des substituts divers, des « verres » lesquels
se sont mués en « coquilles » qui à leur tour ont
pris la forme de « réceptacles » réduits, par
métonymie à leur « présence », finalement
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Il faut imaginer MICHAUX heureux et non exactement le
Henri MICHAUX de « Encore des changements », dans La
nuit remue (1962)
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