Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 80
personne, preuve qu9on peut exister tout aussi
intensément sans être sujet de la phrase et
passer absolument par un « je » explicite. Les
interlocuteurs sont les sujets de la phrase, la
première personne point de référence se
contentant désormais de la place de
complément (« m9affûter ») mais on n9y perd rien
car la force de l9interpellation (« soleils, mains
d9hommes ») fait exister le locuteur.
Étymologiquement parlant, ce verbe qui
renvoie, dans l9usage, à la préparation optimale
de l9outil de façon à le rendre opérationnel,
puise son origine étymologique dans le bois
auquel cas il a été annoncé par la « forêt » donc
et les « arbres » du début du texte (ligne 4).
Ainsi, la vigilance idéale résulte-t-elle ellemême d9une disposition à acquérir, d9une
éducation (pour faire écho au lexique de
l9apprentissage du début du texte), mission
Si les « soleils » s9inscrivent dans la continuité
privilégiée dont la poésie peut se charger.
de « resplendir » et du verre « qui s9allume », les
« mains d9hommes » (les mains comme lieu de Conclusion
matérialisation du lien pour justifier la
synecdoque), succèdent à « l9homme » et aux Bilan
« hommes » (et « on »). Dans ce texte, rien ne se Manuel de pouvoir-vivre, ce poème en prose
perd, tout se transforme et tout se transfère à débute comme une leçon de philosophie
ce stade du poème où la relation a lieu : les morale et se conclut comme un tour de magie.
sons, les images, les mots, les êtres circulent.
Il donne envie de vivre, d9aimer et de tenter la
Pour constituer son groupe d9interlocuteurs
(« Soleils, mains d9hommes »), la dernière
phrase reprend la métaphore (la présence
allumée) dérivant d9une métaphore (le verre)
mais aussi le référent (« hommes »). Il y a donc
un cumul ici du comparé et du comparant, du
réel et de la poésie en somme. En un vocatif
(« soleils, mains d9hommes », sont aussi réunis
le monde d9en-haut et le monde d9ici. Mieux, les
« mains » et les « soleils », par le jeu de la
juxtaposition) se trouvent miraculeusement
proches, petit miracle opéré par la langue
poétique : le poème qui nous promet de la
merveille
(ligne
22),
pas avare et
confiant en
son lecteur,
lui en fournit
ici déjà un
début
de
preuve.
relation avec l9autre où il y a, ainsi que le
démontre par l9exemple, souvent le poème, tout
à gagner. Le texte fait aussi l9apologie de la
poésie, langue attentive elle-même au réel dont
elle se fait la traductrice ainsi que la
stimulatrice, et capable seule de rendre compte
de nos meilleurs rêves : en s9adressant aux
soleils et aux mains d9hommes en même temps
et donnant l9impression grammaticalement
construite que les deux sont joignables, le texte
fait de nous tous des Icare jamais tombés.
Ouverture
Le recueil Séculaires ne manque pas de tinter
et faire écho avec Mes forêts, pas seulement
pour le choix de la métaphore sylvestre. Les
deux poètes, Hélène DORION et Olivier
BARBARANT interrogent ce qui nous laisse et
fait vivre et survivre : pour eux deux, la poésie
et le partage. Pour Hélène DORION, c9est « un
peu de pluie sur la blessure », pour Olivier
BARBARANT quelques pages plus loin que
notre poème, c9est le constat de notre condition
Il
semble humaine de frêles Sisyphes :
enfin que le
« D9un automne l9autre
terme final
d9affûter soit
Je recouds des pluies. »
inédit.
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