Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 84
Ce qui est certain, c9est que la forêt ne se
contente pas d9être un lieu, et ne se contente
pas de frontières dans la strophe, le vers ou la
phrase : épousant au plus près le désir
d9émancipation de la poète, et le destin
irrégulier des hommes, elle emprunte ellemême des chemins tortueux, modulable à
souhait. Protéiforme et fidèle, la forêt est
missionnée pour traduire deux identités
antithétiques : si sa base (le nom chef de
groupe « forêt ») ne change pas, son expression
n9est jamais tout à fait la même.
La place des forêts dans le vers
Ce qui est en revanche net, c9est que plus
encore que de s9aventurer dans les forêts, le
recueil pose de vérifier où les forêts
s9aventurent elles-mêmes dans la strophes et
les vers.
Le début du recueil leur assigne des places
visibles, attaque du vers ou de la strophe,
retour cyclique en fin de poème pour tous les
courts fragments de la première section. La
forêt s9impose à nous comme repère, retour à
une base ferme après tout égarement.
Mais plus le recueil avance, plus les forêts
sortent des places où elles avaient été
assignées : on les retrouve au milieu des vers,
au milieu des strophes, parfois même en incise
(c9est-à-dire en marge du discours principal,
« nous dit la forêt »), noyées dans des listes de
mots erratiques,
« & rêve route
forêt
fissure
rivière
Tuf
eau
sang
salive chute
rêve & »
en milieu de poème, en milieu de
strophe et même en milieu de
phrase,
obligeant
à
des
enjambements, par exemple « mes
forêts / racontent » ; la forêt
s9enfonce dans le développement
des poèmes, de moins en moins
repérables, de moins en moins
signalées et prenant de plus de
latitude avec les bornes visibles du
poème, début et fin. On déduit que
la forêt s9étend, prend confiance,
se répand et s9autorise des sauts
de vers ou des dilutions, des
circulations
plus
ou
moins
occultes, du moins clandestines
dans le poème. Est-ce à dire que la
forêt elle-même, au fil des poèmes,
en vient à se délocaliser ?
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