Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 87
Parcours de lecture n°2 : la
forêt comme espace abstrait
Espace modifié : espace converti en
temps
Le rapport au temps est affirmé dès le début
« Mes forêts sont de longues traînées de
temps& » pour se confirmer en milieu
d9Tuvre : « l9arbre n9a d9âge / que celui des
saisons ». La forêt semble le témoin privilégié
de
l9écoulement
du
temps
et
de
l9accomplissement de l9expérience. Clôturant
« L9onde du chaos », le recueil relance le
rapport indissociable entre les forêts et
l9entreprise d9acceptation du temps : « Mes
forêts sont le bois usé d9une histoire ».
la déperdition de l9existence dans « le mur de
bois ». Le basculement, par reprise diaphorique
de « nos histoires » à « l9Histoire », est alors
permis, opéré plus systématiquement dans les
derniers poèmes du recueil aux accents
cosmogoniques : « La terre a commencé à
recueillir nos histoires / dans les arbres et sous
la couche d9humus » pour devenir ensuite
« d9autres histoires ont commencé » jusqu9au
texte final : « Mes forêts sont de longues tiges
d9histoire ». Les forêts auront servi de point de
bascule entre les narrations individuelles et
anecdotiques et le récit fondateur du monde,
universel.
La forêt comme zone de faille
Le lieu se fait temps : « vers demain » (« le De façon pudique, les forêts sont les témoins
ruisseau ») ; la mention « au milieu d9un vaste privilégiés des douleurs et des blessures,
bouquet fané » renvoie tel un motif baroque à moyen de ne pas céder à l9autocomplaisance
d9un propos trop simplement
autobiographique. Dès le premier
poème du recueil, « Mes forêts »
reviennent en tête de chaque
strophe,
retour
anaphorique
mimant
l9algie
obsédante et
transfigurant le monde, comme
l9indique la syllepse sur « aiguille »,
désignant le feuillage du conifère,
plus que probable au Québec, mais
aussi l9instrument pointu donc
dangereux (« elles sont des
aiguilles / qui percent la terre /
déchirent le ciel »).
Les forêts disent, sans les nommer
tout à fait, les tragédies qui se
jouent, comme dans « L9arbre » :
« le mur de bois / s9est fissuré »
avec la césure de la phrase en
octosyllabe en son milieu obligeant
à un enjambement. Même chose
dans « Le ruisseau » : « le rideau
s9effrite / dans un souffle lourd »,
qui mise lui aussi non seulement
sur le débordement du verbe avec
la mise en suspension au bout du
vers (vu comme un précipice) de la
première partie de la phrase, mais
86