Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 88
lancinant gagne du terrain, comme dans « je
aussi sur les pronominaux, formes verbales
propres à rendre la dissociation sujet/objet à
l9intérieur-même de soi (« se fissurer » et
« s9effriter », renvoyant le sujet à sa propension,
par la tournure réfléchie, à devenir le support,
l9objet de sa propre action, image on ne peut
plus tragique de l9heautontimoroumenos.
suis cette ramille / qui frémit / au bout du vide
/ trace un invisible chemin / vers l9horizon /
chaque souffle / me dépouille / d9un feuillage /
me laisse vacante / comme la lumière qui va /
elle aussi vers le soir » où l9allitération en [v] (le
Elles disent la douleur persistante, comme dans
les choix phoniques, ainsi dans le poème de
clôture : « un peu de pluie sur la blessure/ un
rayon qui dure » le verbe « durer » (non sans jeu
de mot avec l9adjectif renvoyant à l9idée de
robustesse et de résistance) installe la
persistance d9une voyelle relativement rare en
français, le [u]. Dorion ne choisit pas toujours
de faire rimer les termes mais il semble que cela
s9imposait pour « blessure », mis à la
rime avec « dure » signifiant le temps
long et portant dans l9écho sonore la
permanence de ce qui est signifié, à
savoir le trauma.
[v] tiré du « vide », pour cette strophe-là du
moins) se répand dans toute la strophe
littéralement aspirée par le vide.
La forêt pour penser et dire le
néant
« Je n9ai rien déposé au pied du chêne
rien à l9ombre du saule je ne me suis
adressée / ni aux faibles ni aux
puissants / je n9ai pas vu le veilleur /
à l9entrée de la mer / pas vu le
jardinier cueillir le crocus d9un
printemps / pas trouvé le miel et la
soie » : dans cet extrait de « L9onde
du chaos », l9accumulation de
négations syntaxiques veut rendre
compte non seulement de l9intensité
du néant (« ne& rien », « ne&pas »,
« ni&ni& ») mais aussi, à force,
attirer notre regard sur son utilité
dans nos questionnements et, à
terme, le processus de reconstruction
de soi, d9autant que la béance
intérieure est matérialisée sur la page
par
l9espace
typographique
inhabituel laissé vacant : « Je n9ai rien
déposé au pied du chêne
à l9ombre du saule ».
rien
Le
vide
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