Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 89
/ que blessent les vents / de biais / la beauté
vient / chasser l9obscurité ».
Parcours de lecture n°3 : La
forêt comme espace humain
Forêt humanisée : « les forêts hurlent / entre
racines et nuages » dans « l9Arbre », mais aussi
Les forêts sont le carrefour de tous les éléments dans « Le tronc » : « lentes cicatrices / dans la
de sorte que tout peut se perdre en une seule bouche de l9hiver / un visage d9épines
fragilisation : au poème liminaire du recueil insoumises » personnification de la forêt
(« Mes forêts sont de longues traînées de temps martyre. Également, toujours dans « Le tronc »,
/ elles sont des aiguilles / qui percent la terre / « les forêts entendent nos rêves / et nos
déchirent le ciel / avec des étoiles qui tombent désenchantements » écho sonore avec
[&] mes forêts sont mes espoirs debout / un l9assonance en [ã].
feu de brindilles et de mots que les ombres font
craquer / dans le reflet figé de la pluie [&]» la On assiste à l9exposition d9une intimité simple,
La forêt comme espace de lutte
densité de ce paysage sylvestre fait risquer que
si un élément était compromis, il n9emporte
aussitôt avec lui, tous les autres, et c9est ce qui
se passe ici, « la terre » entraînant avec elle l9air
du « ciel », puis le feu des « étoiles » et du
« feu », et enfin l9eau de « la pluie ». Pourtant,
c9est dans ce même poème où tout semble
compromis que la solution apparait déjà,
consistant prendre de l9altitude, de la hauteur
lyrique et oser tendre vers un idéal (divin ou
inspiré), en verticalisant la description : tandis
que la première strophe part de « la terre » et
de « l9humus », le reste du poème ouvre la voie
à une renaissance : « les mâts », les « espoirs
debout » et les « nuits très hautes » livrent déjà
l9antidote au mal. En un poème, tout est
compris, maux et remèdes, enfers et échappée
paradisiaque.
Espace de tension que l9on retrouve, encore
plus resserré, à l9échelle du court poème intitulé
« la branche » aussi bien des occlusives que des
préverbes
de
résurgence
ou
réitération (« re- ») : « et l9horizon craquelle / un
sentier se referme / sur l9écorce des choses » en
début de poème puis en milieu de poème : « il
n9y a que ce qui casse/ et repousse/ autour de
nous » d9où l9on comprend que la forêt devient
Sisyphe : de façon concomitante, ça se rompt
autant que ça répare.
La forêt, lieu de la complicité
Dans « L9horizon », une connivence sonore est
scellée entre la nature et la poète, comme on
devine avec l9allitération en [b] : « un désordre
par le biais d9une mise en équivalence
élémentaire, presque naïve, entre la locutrice et
son espace : « je suis cette branche », « je suis
cette ramille » (avec cette confiance faite à la
confession brute, sujet/verbe/attribut), jusqu9à
la fusion. Le lieu devient soi : « vers moimême » au poème final mais déjà « on ne tourne
plus / que sur soi-même ». Sorte de vases
communicants, où la forêt devenue « mes
forêts » est, par le possessif, un lieu humanisé
tandis que le soi se fait marqueur spatial (ce
que confirment les prépositions locatives ou
directionnelles : « sur » ou « vers »). Echange de
bons procédés donc entre l9humain et le lieu, le
sujet et l9espace.
La forêt comme espace résilient
La quête de soi est revendiquée dans le recueil,
enjeu programmé dès le début et maintenu
comme objectif jusqu9à la fin du recueil : « les
forêts / apprennent à vivre / avec soi-même »,
« les forêts creusent / parfois une clairière / audedans de soi », puis dans la section « L9onde
du chaos », au terme du poème arrive :
« savons-nous / gravir la montagne / jusqu9à
nous ». La fin du recueil consacre cette
recherche de soi : « et quand je m9y promène/
c9est pour prendre le large / vers moi-même ».
Par quatre fois au moins si l9on en croit le jeu
des pronoms, la forêt se donne comme
aboutissement de revenir à soi, un soi de plus
en plus personnel et singulier et assumé, par
l9emploi, de la troisième puis la première
(plurielle), puis la première personne insistante
(pronom réfléchi).
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