Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 90
De façon plus subtile, dès la première section
du recueil, la forêt indique le moyen de sa
résistance à la destruction : au moment-même
où elle semble se décomposer, si l9on en croit
le sens (thème de la fêlure qui se propage de
« La brèche » en « La déchirure ») comme le
style (la synecdoque actant la réduction de
l9ensemble générique, la forêt à la composante,
la « branche ») la forêt fournit les fils invisibles
du rapiéçage : sonore, de « branche » à
« brèche » par la paronymie, et sémantique, par
la synonymie de « brèche » à « déchirure ».
Riche de ses effets d9entraînement et d9écho, la
forêt n9oppose jamais un silence mortifère, au
contraire, elle maintient la possibilité de
retissage sonore, de rebond poétique et de
résurgence des ressources que l9on croyait
englouties.
l9oreille du lecteur que le poète parle et entend
encore le mieux.
Pourtant, à bien y regarder, c9est la forêt que,
de tous les décors naturels, Hélène Dorion a
choisi. Certes la forêt est une réalité paysagère
évidente au Québec et Dorion ne manque pas
de la mettre en scène dans ses publications sur
les réseaux sociaux. Mais au plan symbolique,
la forêt, zone ambivalente par excellente, à la
fois marginale, inquiétante et refuge révélateur
d9héroïsme, nous ramène également aux
profondeurs et aux recoins sombres de l9âme
humaine, à des espaces labyrinthiques, c9est-àdire à nos hantises collectives déjà formalisés
dans les grands mythes antiques dont Dorion
se fait le relais en fin de recueil : c9est avec la
forêt et celle de Dorion que nous comprenons
que le destin de chaque homme est d9être tout
à la fois Thésée, le Minotaure, et notre propre
Conclusion
En conclusion, il serait tentant de dire que le fil d9Ariane. En une seule forêt, le sous-bois, la
paysage sylvestre n9aurait de vocation qu9à clairière et la canopée.
servir d9arrière-plan ou de prétexte à
l9introspection, elle-même point de départ de la
réflexion philosophique et d9un éthos poétique
redéfini, où c9est, au fond, par la bouche et
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