Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 93
portent en eux-mêmes la sensualité de la
mixité, par exemple « ondes » (v.2)
et
« rythme » (v.4) (on les retrouvera, intact ou par
association d9idées à la strophe finale) : tous
deux issus du lexique de l9eau, indiquant le flot,
ils sont aussi récupérés par le lexique
acoustique, désignant à la fois l9élément et le
contact sensoriel, le milieu et la sensation,
renvoyant à la fois à l9espace et à l9expérience
que l9on en fait, à la fois à l9élément objectif
physique et à l9appropriation subjective.
La dimension très instinctive et sensorielle de
cet amour est consacrée par l9appui sur le corps
et le physique : « côtoyer », qui ouvre le sizain,
et « traverser », qui le ferme, nous signalent que
l9amour revendique son immédiateté et de là,
son universalité, sans medium intellectuel ni
filtre culturel. D9ailleurs, de cet amour, nous
n9obtenons aucun visage, aucun nom, aucun
état-civil puisque c9est moins une personne que
l9idée de l9amour que nous avons, avec l9emploi
des articles indéfinis (« un paysage », « un
soleil ») et de l9adjectif indéfini « chaque »
complétant d9ailleurs une entité vague
(« chaque chose »). On comprend que cette
imprécision n9est pas le fruit d9une négligence
mais qu9elle rentre dans le cadre d9un
dévoilement progressif, allant de pair avec
l9énoncé prudent, modalisé ou mis à distance,
dès le vers liminaire avec l9analogie (« comme
côtoyant& ») et jusqu9au vers clôturant ce
sizain avec la suspension (« mais plein& »).
Aux vers 4-6, on finit par déduire de cet amour
qu9il s9allie à la langue poétique même, non
seulement parce qu9il indique une cadence
lente et balancée (la variable « selon le rythme»
et la mention du soleil « tardif » donnent
d9emblée de l9importance à la gestion du
temps) mais parce qu9au moment où Cheng
annonce, par les mots, que le temps sera étiré,
il le met en Tuvre dans les phrases : la
première phrase s9étire sur trois vers, avec un
enjambement du vers 1 au vers 2 et l9ajout
d9une subordonnée relative au vers 3 tandis
que la seconde phrase de ce sizain, aux vers 56, est relancée par deux adversatifs cumulés en
forme d9épanorthoses successives : « soleil
tardif / mais ardent, mais plein&. »).
L9amour s9annonce intense et magicien,
puisqu9en six vers qui se voulaient progressifs,
il a tout de même renversé la perspective, nous
faisant passer du royaume de l9eau (« l9onde »)
en royaume de feu, non sans instance, avec la
tournure pléonastique du « soleil& ardent ».
On comprend que cet amour, vivant, dextre et
sans limite, peut tout.
2e MOUVEMENT= 2 e STROPHE. L9AMOUR
TRANSFORME LA NATURE ET LE MONDE.
Le lecteur étant désormais
suffisamment intrigué et prêt à se
laisser fasciner, l9exposé du détail
de ses accomplissements peut
commencer.
Les vers 7-9 au début de la
grande strophe qui doit déployer
la vision du monde modifié, animé
et enrichi par l9amour, consacre
l9épanouissement de la nature où
les éléments fusionnent : après
l9union, à la strophe précédente
du feu (« soleil », « ardent ») et de
l9eau (suggérée par « les ondes »,
v.2), arrive le temps du mariage
de la terre et de l9eau, avec
successivement le « rocher » et la
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