Perspectives littéraires n.3 - Journal - Page 94
« mousse » du vers 7 qui rejoignent au vers 8
« la source », « la cascade ». A l9oreille on
imagine le bruit de l9eau, tantôt doux (avec
l9anaphore qui couple la labiale et la liquide en
début de vers, « Blanc »/ « Blonde ») tantôt
fluide (avec les sifflantes des « mousses
caressantes », de la « source » et de la
cascade »), tantôt vigoureuses (claquant sur les
rochers
avec
l9occlusive
[k]
« caressantes »/
« cascade »).
L9amour
protéiforme se change en éléments du décor ;
à la façon d9une divinité mythologique, il
adopte toutes les apparences et toutes les
textures, douces ou rugueuses.
Les vers 7-10 continuent d9enrichir le
tableau, puisqu9il s9agit depuis le vers 2 d9un
« paysage » (v.2). Le tableau gagne, après le
jaune suggéré par le soleil (v.5), le « blanc » du
rocher (v.7) et la blondeur de la source (v.8), le
« vert » qui se déploie dans l9allitération en [v]
aux vers 9-11 (« venu », « avènement »,
« travers »). La fusion entre les niveaux de
signification (ce que dit le monde, en
sémantique, et ce qu9il suggère, de façon
sonore) rejoint également la confusion des
contraires puisqu9après la montée par le soleil
(v.5)
nous
voici
plongés
dans
les
« profondeurs » (v.9). De là, l9amour se donne
comme le point cardinal de ces directions
contraires, le point stable, le point d9équilibre.
La célébration de l9amour poursuit la
métaphore filée (l9amour comparé à la vie de la
nature) avec des termes mélioratifs qui
renvoient une image positive de l9amour :
« plein » au vers 6 déjà, et désormais tout un
afflux de connotations positives : la pureté avec
le « blanc », la richesse (la récolte des blés) avec
la « blondeur ». Le temps lui aussi s9envisage
avec enthousiasme : « prête » (v.8), « mûr » et
« avènement » (v.10) indiquent le moment festif
de la consécration.
Des vers 11 à 17 , rien ne résiste à cette
célébration totale, ce qui explique les
hyperboles de la nature très réactive à cet
amour : « toute la forêt » (v.12), « mille pétales »
au v.15. La nature s9humanise, personnifiée (la
foret
s9abandonne »,
surmontée
d9une
« chevelure de nuage »). Dans un élan lyrique,
vivifié par l9amour, le monde se redirige vers le
monde supérieur, celui du divin et de l9idéal :
après la catabase des « cascades » et des
« profondeurs », le « bond » (v.11) semble
relancer la prise
d9altitude :
« saison
montante »,
« nuage »,
« azur »
et
« étourneaux ». Après l9automne et l9hiver des
cascades nourries par l9hiver, le printemps refait
surface et va chercher les hautes lumières.
La forêt qui se dessine aux vers 11-12
est un espace non pas menaçant mais pacifié :
« biche », « clairières », et « forêt » renvoient
bien au champ lexical sylvestre mais les siècles
ont fait oublier que biche et bestia sont la
même racine, et que les étourneaux ont,
étymologiquement,
la
même
racine
indoeuropéenne que les étoiles : le sauvage
s9est domestiqué, l9au-delà (des étoiles) est, le
temps passant, devenue accessible (l9étourneau
nous semble aujourd9hui un animal du
quotidien).
Aux vers 13-14,
tout prend confiance, se
ravive et s9emballe au
sein
d9une
nature
inspirée, ainsi que le
soulignent l9anaphore de
« rien » (« rien qui ne
s9enivre », « rien qui ne
s9oublie »), dans le préfixe
marquant le retour, la
résurgence (« ressac » et
« répand » aux vers 13-
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