Perspectives Littéraires nurméro 1 octobre 2022 F Gherman IA IPR de Lettres - Journal - Page 13
Perspectives littéraires, numéro 1, octobre 2022
événements de leur vie une
représentation romanesque.
Cette représentation les incite
à l’action, jusqu’à l’exaltation,
mais elle porte aussi en elle
une part d’erreur, voire
d’aveuglement, et conduit les
personnages principaux et
secondaires à se méprendre
souvent sur les conduites à
tenir et à ignorer le sens
véritable de leur action. Un tel
intitulé pose donc la question
A/ Le signe flou du
plaisir
De
la
libertine…
recherche
Dans Manon Lescaut, le plaisir
est une notion difficile à
appréhender : en aucun cas, il
ne faudrait le réduire à sa
dimension voluptueuse ; et la
centralité de la figure de
Manon, devenue au fil des
siècles un mythe de la
sensualité féminine, ne saurait
tromper. En effet, il est
remarquable que la fascination
exercée par ce personnage ne
tienne pas – pas seulement – à
une dimension sexuelle : certes,
le personnage de Manon, défini
par « son penchant au plaisir »,
situe les commencements du
récit dans une optique libertine
et
donne
immédiatement
l’occasion aux personnages de
« s’aimer jusqu’à la fureur », dès
leur première rencontre (p. 87),
de la place du plaisir dans la
quête du sens, dans une
perspective à la fois politique
et morale : d’une part, en quoi
l’expérience esthétique de la
marginalité, source à la fois
d’admiration et de pitié,
constitue-t-elle une manière
d’interroger le pouvoir des
individus sur leur existence ?
D’autre part, en quoi le récit
d’un désir irréalisable permetil de dévoiler la portée et les
limites du bonheur individuel ?
en dehors des lois sacrées du
mariage. Pourtant, en raison
même du rapport asymétrique
entre deux êtres qui s’aiment
spontanément sans parvenir à
établir de satisfaction durable («
Manon était passionnée pour le
plaisir, je l’étais pour elle »), le
roman montre rapidement que
la soif inextinguible de Manon
pour toute forme de jouissance,
si elle peut parfois profiter à
Des Grieux, entre la plupart du
temps en contradiction avec le
désir du jeune homme de vivre
«
honorablement
»
et
exclusivement
pour
sa
maîtresse : en reconnaissant a
posteriori que Manon « aimait
trop l’abondance et les plaisirs
pour les [lui] sacrifier », le
narrateur Des Grieux admet que
la quête hédoniste de Manon
dépasse son propre projet
amoureux.
comme
la
reconstitution
poignante d’une chronologie
de l’incommunicabilité. C’est ce
dont
témoigne,
ensuite,
l’instabilité chronique du mot «
plaisir », oscillant entre le
singulier et le pluriel, et le
général et le particulier : jusqu’à
l’épisode américain, l’écart est
permanent entre la conduite
singulière de cette « étrange
fille » en quête d’un plaisir pour
elle et les ombres fantasmatiques et angoissantes que
les hommes projettent sur elle,
au nom même des plaisirs pour
eux qu’elle leur promet en
Ainsi, le roman d’une formation
échange des dons qu’ils lui
aux plaisirs de l’amour est
feront.
littéralement débordé par ce
qu’on
pourrait
présenter
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