Perspectives Littéraires nurméro 1 octobre 2022 F Gherman IA IPR de Lettres - Journal - Page 22
Perspectives littéraires, numéro 1, octobre 2022
l’amour » (p. 165). De quoi
l’intériorisation des plaisirs estelle le vecteur dans Manon
Lescaut ? Manon Lescaut est-il
un roman de la perte ou de la
conquête du sujet ?
2. Pistes de lecture de
l’œuvre au programme
dans la perspective de
l’intitulé du parcours
associé
Lectures linéaires issues
de l’œuvre intégrale
Pour répondre à cette question,
on pourrait développer les
lectures suivantes dans le cadre
d’une séquence intitulée :
Manon Lescaut ou l’éloge de la
fuite : la naissance romanesque
d’un sujet désirant au XVIIIe
siècle.
Lecture linéaire n°1
La naissance des « idées
romanesques » : plaisirs et
errance de l’imagination.
De « Je reconnus bientôt que
j’étais moins enfant que je ne le
croyais » à « nous ne
comptâmes pas moins sur le
succès de nos autres mesures »
(p. 82-84).
Une première lecture pourra
être consacrée à l’explication
linéaire d’un extrait de la scène
de rencontre entre Des Grieux
et Manon, en s’attachant à
analyser la dernière étape de
cette rencontre à l’occasion de
laquelle les jeunes amants
décident, presque sur un coup
de tête, de fuir en cachant ce
départ à leur entourage. Dans
cette scène, le plaisir réside
sans doute dans l’idéal de la
fuite (plaisir d’improviser une
échappée romanesque et de
prolonger le plaisir érotique,
pour les amants ; plaisir
d’assister à une scène du genre,
pour le lecteur), mais ce plaisir
se teinte d’inquiétude si l’on
considère que ce démarrage en
trombe marque aussi une fuite
en avant pour un couple qui
définit d’emblée son action sur
le mode de la dissimulation et
de l’escamotage.
La lecture linéaire doit montrer,
d’abord, comment la découverte inopinée du plaisir
amoureux
marque
une
naissance à soi, sur un mode
enthousiaste où le corps
communique ses émotions à
l’esprit. Ensuite, cette naissance
à soi semble également
correspondre à la naissance de
l’autre à l’amour, la passion
étant ici présentée par le
narrateur comme un pur jeu de
miroir entre son propre désir et
celui de Manon ; en réalité, le
plaisir d’aimer trouve dans le
plaisir d’être aimé une image de
son propre plaisir. En d’autres
termes, le plaisir de s’aimer ne
relève pas seulement de
l’action des personnages, il
tient aussi à leur activité
imaginative.
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À ce titre, une troisième étape
de la lecture devra signaler le
pouvoir et les limites de
l’imagination : d’un côté,
l’imagination offre aux nouveaux amants une « idée
romanesque », selon le mot de
Des Grieux, qui déclenche
véritablement l’action narrative
(projets d’évasion et de
mariage, déplacement de la
périphérie vers Paris) ; de
l’autre, cette scène marque un
décalage problématique avec la
réalité, notamment à travers la
question des ressources dont
dispose le couple pour espérer
se maintenir ; tout aussi
touchant
qu’il
soit,
cet
irréalisme de l’amour suggère
que l’illusion du désir n’est pas
tant l’affaire du couple que celle
du narrateur. En effet, la
prévalence du récit à la
première personne signale ici
un double mécanisme, continu
dans l’œuvre : d’une part, un
personnage féminin dont les
intentions véritables échappent