Perspectives Littéraires nurméro 1 octobre 2022 F Gherman IA IPR de Lettres - Journal - Page 25
Perspectives littéraires, numéro 1, octobre 2022
La lecture d’un extrait emprunté
à la deuxième partie de Manon
Lescaut doit montrer comment
la marginalité des personnages
permet à Prévost de redéfinir la
notion
même
de
sujet
fictionnel. Le passage retenu se
situe au Nouvel-Orléans, à
l’instant tragique où Des
Grieux, croyant avoir tué son
rival dans un duel amoureux, ne
peut plus « déguiser » les faits à
Manon (p. 284) et doit l’inviter
à participer de plain-pied à son
angoisse de mort : plus que
jamais, le couple est pressé de
fuir, le danger est imminent,
l’inquiétude est à son comble et
les amants doivent se décider
dans l’urgence. Il faudra lire
cette scène de délibération
tragique comme une réécriture
de l’évasion de Pyrame et
Thisbé en dehors des limites «
de la ville ». On soulignera le
caractère central de cette
scène, en ce qu’elle marque,
d’abord, l’aboutissement tragique de la marginalité amoureuse, qui conduit le duo aux
portes de la mort. On signalera,
ensuite, comment les amants, si
souvent engagés dans des
parcours
divergents,
se
trouvent ici réunis dans un
même projet de fuite (« Il faut
nécessairement
que
je
m’éloigne », déclare Des Grieux
à sa maîtresse au début du
passage ; « Il fallut la suivre »,
confesse-t-il dans le dernier
mouvement du texte). Enfin,
cette
curieuse
interchangeabilité du langage de la fuite
témoigne de l’épuisement
tragique des personnages, qui
rejouent leur évasion initiale
(extrait n°1) sur un mode
catastrophé : dans ce passage,
Prévost met en évidence le
défaut métaphy-sique de la
marginalité amou-reuse, qui se
manifeste ici à travers un
langage sans horizon. La
lecture d’une telle scène doit
montrer comment la réécriture
d’un lieu commun amoureux
pluriséculaire laisse les amants
sans voix ni lieu.
un corpus tiré de cette œuvre.
La proximité historique de cette
œuvre majeure publiée à
l’extrême fin du règne de Louis
XIV (1713) vise à mettre en
évidence l’influence décisive de
Challe dans la démarche
créatrice de Prévost, et la
différence d’appréciation que
les deux auteurs font de la
passion amoureuse : l’une
combine l’héritage de la
tragédie racinienne, encore très
en vogue au XVIIIe siècle, et
celui des Histoires tragiques
des XVIe et XVIIe siècles
Parcours associé
(Boaistuau, Belleforest, Rosset,
pour ne citer que les premiers
modèles) ; l’autre s’abreuve à
Robert Challe – Les Illustres des sources nouvelles, à la
françaises
N’était le coût de
sa réédition (éd.
Jacques Cormier,
Classiques
Garnier, 2015),
Les
Illustres
françaises
de
Robert
Challe
(1713) mériterait
toute
notre
attention, et on ne
pourrait qu’inviter
les professeurs à
faire lire à leurs
élèves l’une des
histoires
qui
composent
Les
Illustres
çaises.
défaut
franou
à
proposer
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