Perspectives Littéraires nurméro 1 octobre 2022 F Gherman IA IPR de Lettres - Journal - Page 35
Perspectives littéraires, numéro 1, octobre 2022
monde en poète ou n'est-il
qu'un fuyard, incapable de
vivre ?
Le pluriel de « romans » révèle
aussi l'idée que ce roman offre
plusieurs
récits,
plusieurs
romans de Raphaël :
Il y a, en effet, plusieurs romans
dans La Peau de chagrin,
plusieurs styles, plusieurs
récits et narrateurs, plusieurs
vies de Raphaël.
Raphaël est d'abord « l'inconnu
», dans une première partie
étrange, pleine de dialogues,
de fêtes sordides, luxueuses et
vides, dignes du Satiricon, puis
il devient narrateur. Dans la
deuxième partie, ce narrateur
se décrit, dans un récit
rétrospectif,
comme
la
pauvreté même, l'homme sans
le sou mais dans la beauté des
choses. Il devient alors un faux
riche qui tente de conquérir
Foedora, roman à elle toute
seule (comme on nous le dit),
puis Raphaël est un jeune qui
se perd dans la débauche et
l'orgie, enfin il devient un vrai
riche qui retrouve Pauline, mais
déjà mourant et pauvre en
désirs, en dernier lieu Raphaël
est un exilé, etc....
Tous ces récits, tous ces
romans, ne sont pourtant
jamais totalement séparés, ils
se suivent étrangement par la
construction du tissu narratif :
ainsi le récit de l'enfance de
Raphaël et de sa jeunesse
pauvre est inséré par un récit
enchâssé, dans le dialogue très
long qui court depuis la
première partie (à la fin de
cette soirée aux faux airs de
luxe dans une société vaine et
grotesque), jusqu'à la deuxième partie etc. Tous ces
visages, ces possibilités de
Raphaël (nommé de différentes
manières au cours du récit «
l'inconnu », « Raphaël », «
Monsieur de Valentin », «
Valentin »...) sont des romans
dans un récit kaléidoscopique :
le personnage se contredit, se
développe et s'effondre mais le
récit retient tout, comme un
tissu dont les mailles maintiennent les contradictions. L'énergie est
là, dans la puissance
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d'unification
du
divers.
Toutefois
cette
question
méritera d'être interrogée
précisément.
En effet, le principe de la
digression est un principe
majeur et constant dans le
roman de La Peau de chagrin.
De toute évidence, le roman
révèle que l'existence humaine
ne peut s'envisager sous le
concept de « progression ».
Aucune progression
n'est
possible pour l'homme sur le
plan de la matière ; le chemin
de la vie, s'il est envisagé en
termes stricts, court vers un
unique point : la mort. Le seul
mouvement,
envisagé
de
manière
téléologique
et
chronologique,
est
le
rétrécissement de notre peau.
Pour
autant,
l'expérience
humaine n'est pas assimilable
et réductible à ce mouvement.
La vie ne devient existence que
par les digressions, elle est
précisément faite de fantasmes, d'errances, de désirs et de
pas de côté. Raphaël trace ainsi
des digressions constantes,
que ce soit dans ses errances
amoureuses et sociales ou
dans ses idées et aspirations.
Toutefois, ces digressions le
font souffrir, enfermé qu'il est
dans l'angoisse de la mort et
dans l'idée que ses actions