Perspectives Littéraires nurméro 1 octobre 2022 F Gherman IA IPR de Lettres - Journal - Page 50
Perspectives littéraires, numéro 1, octobre 2022
(relevant du domaine viticole),
doublé d’un jeu de mort (la
vrille
renvoyant
à
l’homosexualité féminine dans
la langue argotique) et
assumant enfin sa prétention
poétique (allitération en -v- et
assonance en -i-) : autant Sido
veut nous faire accéder à du
concret intime, autant les
Vrilles semblent amorcer un
projet plus tortueux et subtil.
Construction des œuvres
Les deux textes reposent sur
des architectures très diverses
: dans Sido, c’est un ensemble
dense en forme de triptyque en
prose sous forme de récit au
passé (imparfait/passé simple)
conventionnel alors que dans
les Vrilles de la vigne, on
retrouve un récit très disparate
(une vingtaine de fragments).
Sido se présente comme une
chronique familiale maîtrisée
(trois chapitres, qui partent de
la mère pour aller vers la fratrie
dans
un
mouvement
émancipatoire)
quand
les
Vrilles se donnent à lire comme
un entrelacs d’historiettes, de
saynètes et développements
lyriques.
Deux œuvres en miroir ?
Les deux œuvres se laissent
approcher d’une façon non
moins divergente : dans Sido,
on approche le personnageéponyme, la mère, dans une
scène saisie in medias res,
progressivement
et
imparfaitement : « Sido »
fait sa théâtrale entrée,
surgissant par le dialogue
(conférant d’emblée au
récit sa vivacité valant
pour gage d’authenticité)
et se dévoilant au fil de
plusieurs
désignations
comme autant d’identités
et de costumes successifs
: « elle » est désignée
ensuite par « ma mère »
puis par « ma charmante
mère » et enfin « Sido » qui
semble
être
l’aboutissement de ce lien
affectif qu’ont rendu, un temps,
les déterminants possessifs.
Cette
personne
devenue
personnage par l’emploi des
guillemets (le texte mentionne
bien « Sido » au fil de sa
narration) ne sera jamais
décrite, évoquée par bribes ou
allusions, existant dans le texte
avant tout par sa voix. Sa
désignation-même
est
faussement indicative puisque
Colette et sa mère portaient les
mêmes prénoms (SidonieGabrielle) et que ce n’est que le
contexte
qui
nous
fait
comprendre que « Sido » est le
diminutif de la mère et non de
la narratrice. Les vrilles
s’ouvrent en revanche sur un
texte beaucoup plus explicite
et pédagogue, qui explique au
lecteur le titre par le biais d’une
parabole
sur
l’oiseau
prisonnier des vrilles de la
vigne et qui se débat comme
un beau diable : le « jeune
sarment », « les cornes » de la
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vigne puis « les vrilles de la
vigne » (l’expression figure à
trois reprise) forment un
ennemi à l’oiseau de plus en
plus net, de mieux en mieux
nommé, et de plus en plus
célébré ; du chant cérémonial,
Colette nous livre le refrain : «
tant que la vigne pousse…. »
invitant le lecteur par la voix
encore à rentrer dans cette
histoire dont on peut retirer
deux enseignements : d’abord,
la voix et les paroles aident à
survivre (hymne à l’écriture,
donc) ; mais également : la
vigne aura été l’occasion d’une
virtuosité héroïque, c’est-à-dire
que l’adversité nous révèle
dans ce que nos avons de plus
beau (hymne aux aléas de
l’existence).
Ainsi, le texte traditionnel est
peut-être plus mystérieux dans
sa vocation que le texte lyrique
et poétique, paradoxalement
plus direct.