Perspectives Littéraires nurméro 1 octobre 2022 F Gherman IA IPR de Lettres - Journal - Page 51
Perspectives littéraires, numéro 1, octobre 2022
Le passage des Vrilles à
Sido
Du
spécifique
stéréotype
au
Entre Les vrilles de la vigne et
Sido,
s’est
opérée
une
conversation cruciale dans la
vie de Colette : elle s’est
admise écrivaine et s’est trouvé
une esthétique à travailler,
tenant à l’émergence de la voix
autobiographique (prenant le
dessus
sur
celle,
autofictionnelle, des Claudine)
ainsi qu’à la foi dans une
écriture non seulement admise
comme le biais privilégié pour
restituer
l’expérience
synesthésique avec le monde
mais aussi chargée d’un
pouvoir
magiquement
fédérateur, qui réconcilie avec
son enfance et toutes les
enfances
:
l’esthétique
colettienne d’une intimité
universelle est née.
La
naissance
écriture littéraire
d’une
Aller à rebours de la date de
conception des deux œuvres
va donc à contre-courant de
l’évolution de l’écriture de
Colette qui a fait passer cette
dernière de l’expression lyrique
aiguë (Les vrilles de la vigne) à
l’histoire personnelle faite
légende dans Sido (père
charismatique, frères retors,
voisine
fascinante,
mère
mythifiée…). Le programme,
tel qu’il est donné à étudier,
veut ainsi moins relater la
chronologie d’une femme
(Colette) qu’établir la genèse
d’une écriture de plus en plus
consciente de ses effets
littéraires.
Le passage de Sido aux
Vrilles
Même, on peut comprendre,
considérant le résultat (Sido)
avant la source (Les vrilles de
la vigne) que la sophistication
et le lyrisme plus rhétorique
qui caractérise Les Vrilles de la
vigne ne devaient constituer
que les prémisses, plus ou
moins habiles, d’un style
travaillant à l’effacement
de soi derrière la figure
des personnages fictifs
et
assumant
le
brouillage des pistes de
l’écriture autofictionnelle
(et
non
plus
autobiographique)
de
soi. Le lecteur de ce
programme ministériel,
conduit à rebours de la
chronologie, est amené
à une véritable catabase
dans les mémoires d’une
âme, si l’on peut dire,
s’enfonçant peu à peu
dans trois décennies, de
1930 à 1908 . Ce n’est
en effet qu’une fois
familiarisé avec Colette,
qu’il peut accéder, qu’il
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en prend le droit, au rang de
compère et d’accompagnateur,
tel un Virgile aux côtés de son
Dante, de retourner au style
d’antan encore jeune et
imparfait, empruntant encore
fébrilement
aux
accents
symbolistes. On comprend
aussi que le fragment éclaté
des
Vrilles,
est,
selon
l’agencement ministériel du
programme, à comprendre
comme la fondation du
triptyque ordonné de Sido («
Sido », « Le capitaine » et « les
sauvages ») : il fallait, dans
cette
contre-initiation
de
l’autrice et du lecteur pensés
conjointement,
d’abord
savourer les blés mûrs avant
que d’oser remonter à la
racine.