Perspectives Littéraires nurméro 1 octobre 2022 F Gherman IA IPR de Lettres - Journal - Page 52
Perspectives littéraires, numéro 1, octobre 2022
Problématisation
La célébration du monde
Eloge de la parole par le
souvenir
Le parcours « la célébration du
monde » inscrit la lecture des
deux œuvres dans la veine
hédoniste de la création
artistique : de Nietzsche à
Clément Rosset en passant par
Blaise Cendrars ou Albert
Camus, la force de vie et la joie
de vivre sont une réponse
récente, historiquement ancrée
dans la modernité, à la rigueur
rationaliste tout comme à
l’abstraction
phénoménologique ; adossé à
un
fond
philosophique
profondément matérialiste et
d’un athéisme subtilement
mystique, l’écrivain qui célèbre
le monde a accepté de s’en
faire un allié, à rebours de tous
ceux qui le contestent ou le
condamnent dans une vision
trop critique ou trop sceptique.
La solennité de la célébration
et son rattachement à l’office
religieux indiquent que le
monde est alors pensé comme
un tout, et un tout connoté
positivement, dans lequel
l’écrivain aurait une place de
choix : celui du prédicateur, ou
du prêtre intermédiaire entre le
divin et l’humain. La parole
littéraire ou poétique devient
l’acte liturgique par excellence,
le rite accompli qui soude les
fidèles et fait
s’incarner
le
sacré,
autant
dire que cette
parole se veut
active, dotée de
pouvoirs
transmutatoires.
Cela
peut
prendre la forme
d’une
parole
incantatoire, qui
transforme
le
temps
comme
dans Les vrilles
de la vigne ; à
force de les
répéter,
les
choses existent
dans
nos
oreilles, telle la
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scène, rejouée dans la parole
lyrique, du corps de l’aimée qui
se tourne et se retourne dans
le lit récurrent : « qu’un lit », «
Ô notre lit », « Ô notre lit », «
notre doux lit » ou bien
l’anaphore de « Tu m’as donné
» dans le texte « Nuit blanche »
, louange hallucinée à l’amour
charnel total, fondu dans la
Nature.
A cela, deux conséquences :
d’une part, la répétition produit
une impression de permanence
tant et si bien que l’éphémère
se présente comme éternel.
D’autre part, la répétition des
mots (par exemple « Sido »,
nom prononcé à trente-deux
reprises dans le récit) finit par
générer des images, les
perceptions sonores s’étant
transformées
en
produits
visuels.
Une
rénovation
du
monde par la langue
Cependant, ces images ainsi
formées ne sont pas la
retranscription exacte du réel :
elles en sont la version
augmentée,
un
réel
poétiquement modifié. Dans «
jour gris » (les VV),
Fais un signe au vent, et qu’il
vienne se coucher sur le sable,
pour y jouer en rond avec les
coquilles… Fais un signe : il
s’assoira sur la dune, léger, et
s’amusera, d’un souffle, à
changer
la
forme
des
mouvantes collines…