Perspectives Littéraires nurméro 1 octobre 2022 F Gherman IA IPR de Lettres - Journal - Page 55
Perspectives littéraires, numéro 1, octobre 2022
puissance fantasmagorique de
l’enfance, Colette s’autorise ici
un pied de nez à l’illusion de la
fiction supposée sceller le
contrat entre le lecteur et le
romancier
:
alors
que
l’allitération en -f- (consonne
sifflante !) imite le bruit des
vents coupants, le terme «
sifflant » apparaît lui-même,
insistant donc, par le jeu de
mot, sur la polysémie de
sifflant
(l’acception
climatologique et l’acception
linguistique se superposant) ce
qui prouve que Colette n’est
pas dupe de ses propres effets
; elle assume l’inauthenticité de
l’enfance en mettant au jour
l’artifice d’une écriture pouvant
se targuer d’une parfaite
réflexivité sur elle-même : le
récit d’enfance dans
Sido sert avant tout à
oser
la
démystification
du
récit d’enfance. Le
lecteur est en effet
savamment
guidé
pour identifier le
véritable enjeu qui est
moins de fêter une
enfance
que
de
célébrer une écriture
apte à fêter une
enfance, dans un récit
qui ne parle alors ni
de Sido, ni de la jeune
Sidonie-Gabrielle
mais bien de Colette
écrivaine.
Les vrilles de la vigne
Le mouvement spiralaire
Dans les Vrilles de la vigne, le
parti pris s’annonce, dès le
titre, presque inverse : à la
référence humaine affective,
liée à une sphère intime (« Sido
» diminutif de Sidonie, prénom
de la mère) spécifique (le
référent est inscrit dans une
biographie
particulière),
s’oppose un syntagme nominal
imaginé (les vrilles d’une vigne)
relevant du jargon vinicole et
ne se rattachant nullement a
priori à l’univers propre à
Colette (d’autant plus que rien
dans sa vie ne la relie à la
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culture du vin). Si l’apocope «
Sido » pour « Sidonie » est
courant
et
facilite
l’identification
de
l’enjeu
explicite dès le titre, le choix
d’un terme aussi peu usité que
« vrille » pose aussi problème ,
non seulement parce que toute
le groupe nominal vaut pour
métaphore filée (du lien,
l’excroissance
du
végétal
figurant
ainsi
le
développement de l’amour et
l’épanouissement de soi), mais
aussi parce que le terme est
loin d’être évident sur l’échelle
paradigmatique : à la place de
« vrille », Colette aurait pu en
effet parler de « lien » accroche
» si elle avait voulu être plus
accessible ; elle aurait pu aussi
parler de « vedille », de «
tendon » (appellation de la
vrille à la Renaissance et
ses variantes « tenon » et «
tendron ») voire de « viticule
» ou de « cyme ». Dès le
titre, le lecteur doit mener
l’enquête et se rapprocher
de l’univers botanique tant
aimé de l’écrivaine d’où on
déduit que c’est un élan à
consentir pour entrer dans
l’espace intime dévoilé par
l’écrivaine, et qui se mérite
donc. Il s’agit pour le
lecteur de se questionner
sur
les
équivalents
possibles et sur les
motivations de l’écrivaine
puisque, dans tout le
champ
synonymique
disponible, c’est le terme
de « vrille » que Colette a