Perspectives Littéraires nurméro 1 octobre 2022 F Gherman IA IPR de Lettres - Journal - Page 61
Perspectives littéraires, numéro 1, octobre 2022
pronom de la première
personne du pluriel « nous »
fixe la communauté familiale
dans le récit mais acte
également l’existence d’une
communauté connivente avec
le lecteur. Le syntagme est
donné en fin de phrase, comme
l’aboutissement de tout ce qui
précède.
La mention du « jardin »
en fin de paragraphe et avant
l’évocation des fleurs permet
d’ouvrir le texte sur l’évocation
du paradis en forme de jardin
d’Eden qui va suivre. On en
profite pour recenser les
compléments de lieu de
l’extrait : « Dans ce temps-là »,
« sur la terrasse », « dans le pire
du fracas » et ici, « dans le
jardin » pour constater que les
lieux ne servent nullement la
visée réaliste. Ici, les lieux
renvoient une fois sur deux à
des espace-temps flous ou à
des circonstances plus qu’à des
repères topographiques nets.
En outre, les lieux restent le
plus souvent des espaces
intermédiaires (« sur la terrasse
») ou extérieurs (« dans le jardin
»), ce qui achève de nous
dissuader de prendre ce récit
pour un souvenir personnel ;
rien qu’avec les lieux, le texte
veut se
donner la chance
d’atteindre tous les lecteurs et
l’on comprend que Colette
raconte moins une enfance
intimiste que la rencontre entre
des lecteurs et un idéal mis à
disposition
de
tous,
littéralement (la description du
jardin arrivant) à ciel ouvert.
Troisième mouvement : l’extase
parasitée
Le locus amoenus
L’installation dans une
mémoire idéalisante se
pose
comme
l’aboutissement
de
l’extrait, la dynamique
entraînante du début
pouvant être lue aussi
come la préparation à la
pause contemplative.
« Ô géraniums,
digitales… »
ô
L’incantation au
végétal enivrant de
l’enfance est posée par
deux groupes nominaux
mystérieux : un nom
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latin et un nom qu’on est plus
habitué à entendre sous la
forme adjectivale. Les deux
fleurs, plutôt répandues et
demandant peu d’entretien
(vivace pour
la première,
annuelle pour la seconde) ne
présentent pas un tableau
cohérent, si ce n’est qu’elles
donnent à voir des couleurs
vives (marquantes pour une
enfant) et qu’elles ont toutes
deux des formes (clochettes
pour le géranium, fûts pour les
digitales) et des noms propres
à faire rêver ; le géranium
renvoie étymologiquement au
bec d’un animal pour sa forme
arquée, tandis que la digitale
à la forme fuselée évoque un
doigt ou un fourreau. Comme
souvent, Colette peuple son
herbier de fleurs avant tout
évocatrices, propres à faire
travailler
l’imaginaire
notamment du fait de noms,
vernaculaires
souvent,
suscitant
les
associations
d’idées. L’invocation vise ainsi
donc moins les fleurs ellesmêmes que l’imagination.
L’invocation permet aussi à
Colette de faire appel à des
groupes nominaux successifs,
éliminant toute action au profit
de l’image elle-même valant
pour elle-même (quasiment
mallarméenne, en cela).
La vue est sollicitée par
les évocations de la lumière et
de
l’éclat
(mention
successivement de « allumés »,
« reflet », « vermeil ») avec un