Perspectives Littéraires nurméro 1 octobre 2022 F Gherman IA IPR de Lettres - Journal - Page 62
Perspectives littéraires, numéro 1, octobre 2022
mot (« vermeil ») qui fait le lien
entre le champ lexical de la
lumière et celui de la couleur
rouge & rose laquelle va
dominer ensuite, selon que l’on
prend la première ou la
seconde acception du mot
(incarnat ou éclatant). Le mot
fait le lien entre deux phases de
l’incantation ; le verbe qui
effectue le raccordement et
confirme par là sa valeur
réconciliatrice.
Le locus amoenus interruptus
Rupture de la jouissance
remémorative par l’irruption de
Colette (écho à l’extrait n°1).
« Car « Sido » aimait au jardin le
rouge, le rose, les sanguines
filles du rosier, de la croix-deMalte, des hortensias et des
bâtons-de-Saint-Jacques,
et
même le coqueret-alkékenge,
encore qu’elle accusât sa fleur,
veinée de rouge sur pulpe rose,
de lui rappeler un mou de veau
frais… »
Ici s’opère le retour de Sido
dans la divagation qui n’en est
pas tellement une puisque Sido
l’envahit et conforme sa place
de centre de gravité. Chaque
fois, elle est propulsée en
début de proposition et en
position de sujet : « Sido
aimait… », « Elle accusât… ».
Par, entre autres, le sens de la
chute,
préparée
par
l’énumération (rose, rosier,
croix-de-malte…) parvient à
faire sourire sur une note finale
burlesque : « mou de veau frais
», Colette détruit le lyrisme de
l’accumulation florale pour
aboutir à un détail trivial, celui
de la viande crue peu
ragoûtante. On pourrait penser
que Sido ramène la scène
d’abord picturale à des
considérations
bassement
alimentaires.
Nouvelle
relance
lyrique. Malgré l’humour et le
recul sur cette mère volontiers
provocatrice, l’hommage est de
nouveau rendu à l’Eden familial
: c’est au nom de ce paradis
perdu où la nature luxuriante
est étourdissante, que le texte
maintient à l’oreille, comme
pour le revivre, le son de la
tige florale coupée dans l’acte
de « cueillir » de façon ensuite
à donner lieu à toute une série
d’allitération en -c- : « cueillir »,
« car » (d’autant mieux entendu
qu’il débute la phrase), « croix
», « coqueret », « qu’ » et plus
loin, « collatéraux », « cardinaux
», « confiait ». Le lecteur suit par
cette série d’occlusives de son
[k] la découpe des fleurs une à
une et visite, par l’oreille, le
locus amoenus de l’enfance.
L’énumération
des
fleurs,
des
roses
aux
campanules, en passant par les
hortensias et des variantes des
croix de Jérusalem, forment
une palette de dégradés du
rouge mais le tableau a
vocation à s’animer dans la
mesure où le jardin prend peu
à peu forme humaine : « filles »,
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« sanguines », « veinée » et «
pulpe » (les tissus, donc),
auxquels on peut faut ajouter
le rose de l’épiderme et le
rouge du sang, nous ramènent
en effet au corps, à la vie et
même, à la filiation. Colette
n’inscrit pas la famille dans la
nature ; c’est ici plutôt l’inverse,
le végétal prenant comme
référence le monde organique
et même animal (celui des êtres
vivants), de sorte que le décor
idyllique
participe
d’une
généalogie familiale.
La parole de la mère est
de nouveau abrupte, donnée à
entendre en ce discours direct
souvent privilégié quand il