Perspectives Littéraires nurméro 1 octobre 2022 F Gherman IA IPR de Lettres - Journal - Page 63
Perspectives littéraires, numéro 1, octobre 2022
s’agit de Sido, et nettement
signalé par la présence
cumulée des deux points, des
guillemets et du verbe de
parole en incise, « dire », le
terme le plus évident : « Je
m’arrange avec lui », disait-elle,
pour
bien
souligner
le
caractère spontané et le
tempérament vif de la mère. Là
encore, c’est à se demander si
la nature et le végétal, certes
chéris de Colette amatrice de
jardins et herbiers, ne sont pas
des prétextes pour mieux servir
le contraste (nature inerte à
contempler vs Sido, remuante,
à écouter) afin, au bout du
compte, de mettre en valeur le
personnage de la mère.
Comme précédemment
(quand il s’agissait du mousse
élancé face à la bourrasque), le
ton est volontiers comique et
même héroïcomique si l’on
croit le lexique emprunté à la
géopolitique mâtiné de jargon
judiciaire pour narrer la simple
conduite du jardin par la mère
: « accuser », « pacte », «
s’arranger », « suspicion », «
traîtres », « meurtrier ». Le
décalage (ici héroïcomique,
tantôt burlesque avec le « mou
de veau frais ») fait sourire
bien-sûr mais il pose aussi,
plus sérieusement, la question
des valeurs et des hiérarchies
dans cette famille, ainsi que
celle de la possibilité-même de
contemplation au sein d’une
scène censément descriptive
devant servir le processus de
réminiscence lyrique. Cette
dernière se trouve en effet
torpillée par les inserts
réguliers
de
mentions
familières ou inadaptées, le «
mou de veau frais » comme le
lexique des crimes et délits ne
permettent pas l’installation
durable dans le tableau
nostalgique : il serait plus
judicieux alors de parler ici
d’un
locus
amoenus
interruptus.
pas minimisé par l’écrivaine qui
répond à la traitrise à peine
évoquée et au pacte fragile par
le
verbe
«
confier
»,
accompagnant le lecteur dans
ce mouvement de balancier où
les images se contredisent les
unes les autres.
Dernière tentative de retrouver
le paradis perdu
« Elle lui confiait des bulbes de
muguet, quelques bégonias, et
des crocus mauves, veilleuses
des froids crépuscules. »
Dès lors, comment accueillir
(pour combien de temps et
avec quelles assurances ?) le
retour au végétal ? - Peut-être
comme une dernière tentative
d’échappée hors de la trivialité
du quotidien ou bien leurre une
fois de plus.
La nature reconvoquée semble
amorcer de nouveau une
tentative d’harmonie comme
pour compenser ce qui vient
d’être terni, avec la mise en
place d’une concaténation
sonore : le texte va de
bilabiales (très douces dans
leur
rendu
sonore)
en
occlusive (« bulbe » / «
bégonias » puis sur le phonème
[m] bilabial « muguet »/ «
mauves », tandis que l’on
retrouve l’allitération « confiait
»/ « quelques »/ « crocus » / «
crépuscules »),
rendant
subtilement
compte
de
l’hésitation entre deux mondes,
la douceur et le rêve à l’opposé
d’un réel plus brutal.
En tous les cas, l’extrait aura
mis en évidence la tension
entre les deux mondes : celui
où tout se laisser gâcher par
les « jeux traitres » et la
suspicion d’un côté, et de
l’autre, l’idéal (celui des
floraisons généreuses) n’est
Le tableau floral (des «
roses » aux « bégonias » en
passant par les « hortensias » et
le « muguet ») renvoie le plus
souvent
à
des
fleurs
répandues, de culture plutôt
facile et qui ont commun non
seulement leur débauche de
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