Perspectives Littéraires nurméro 1 octobre 2022 F Gherman IA IPR de Lettres - Journal - Page 67
Perspectives littéraires, numéro 1, octobre 2022
Analyse par mouvements
Analyse de l’extrait 2
Situation
problématisation
et
Mouvement 1 de « Il n’y
a » à « bois »
Le texte est à la fois fondu dans
un triptyque (les trois textes
dont la dédicataire est « M. »,
pour « Missy », l’ancienne
compagne, de Colette après sa
rupture avec Willy, héritière et
donc
financièrement
émancipée, artiste de musichall provocatrice et compagne
de Colette de 1905 à 1911) et
mis en valeur dans l’édition des
Vrilles de la vigne de 1934 en
étant propulsé comme premier
texte (si l’on excepte l’exorde)
du recueil. D’une certaine
façon, tout le projet ambivalent
de ce texte torride est là : être
différent (plus explicite, plus
intense, plus poétique) mais
aussi confirmer un projet
d’ensemble : célébrer le
monde. Ainsi, commémorer
l’amour dans le lit conjugal estil aussi un prétexte pour
affirmer un rapport sensuel et
jubilatoire au monde, marqué
par la fusion avec des êtres
entre eux, mais aussi entre ces
derniers et la nature et ici, avec
l’univers.
Les cinq premiers paragraphes,
ou strophes si l’on considère le
texte come un long poème en
prose, installent le texte dans
l’adresse à l’être aimé en se
polarisant sur l’objet sulfureux,
le lit des amant(e)s. L’enjeu de
ce premier mouvement est de
surmonter une possible gêne à
entrer dans l’intimité du couple
par une poétisation de l’extrait.
Il s’agit de célébrer la beauté
d’un couple ardent et capable
de générer de la poésie. Le
monde est alors celui de la
chambre tout aussi que celui
de la langue poétique.
Mise en place pudique
(ou
bien
d’autant
plus
intelligemment aguicheur ?) du
texte par les tournures
prudemment restrictives (« il
n’y a … qu’un lit ») ou l’effet de
contre-annonce
(sorte
de
prétérition dans « ils ne savent
pas que … ») ou même
indirectes (« aucune draperie
ne voile … »). Charge au lecteur
de
se
forger
une
représentation dans ce délicat
balisage de la peinture.
Montée
en
puissance poétique par le
passage des termes
concrets
à
leur
synonymes plus abstraits
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(par le recours à des adjectifs
caractérisant moins les choses
que les tempéraments) ou
davantage
chargés
d’une
connotation spirituelle : de «
draperie » à « linceul », de «
blanc » à « candeur ».
La douceur de l’amour
enivrant est suggérée par
l’allitération en -v- (la consonne
labiodentale -v- est ressentie
comme douce dans la mesure
où le son est obtenu par le seul
passage de l’air, comme son
nom l’indique, entre la dent et
la lèvre, sans vibration dans la
gorge ou dans la bouche) ; le v- se retrouve dans « voile », «
vallon », « savent », «
voluptueux » et « vallon »
encore, « veloutée », et « dévêt
» - souvent en position initiale
dans le mot, donc -.
Au même moment, un
refrain lui aussi atténué (par la
nasalisation du [o]) tisse un
réseau vocalique en forme
d’assonance en [õ] dans : «
maison », « complice », « vallon
», « tombe » », « blonde ».
L’adresse au lit (« Ô »
lyrique) confirme le maillage,
ou plutôt surpiquage ; de
même que les mots sont
répétés individuellement («
vallon », « lit » ou « large », «
parfum », « blond(e) » ; à
quelques
lignes
ou
paragraphes d’intervalle), le
texte reprend aussi des
expressions glanées dans le
texte mais pour les réunir :