Perspectives Littéraires nurméro 1 octobre 2022 F Gherman IA IPR de Lettres - Journal - Page 68
Perspectives littéraires, numéro 1, octobre 2022
ainsi « il n’y a qu’un lit » et «
tout nu » une fois additionnés
forment une même invocation :
« O notre lit tout nu ! ». On peut
lire le processus à l’envers et
comprendre que c’est la force
incantatoire qui a permis
l’unification
des
pièces
jusqu’alors
disjointes.
La
poésie qui réunit les mots
comme les êtres, cristallise le
monde.
Ainsi unifié, le monde se
donne à voir dans tous ses
états et (presque) tous ses
éléments sont répertoriés :
l’air, le feu et la terre, mais avec
chaque fois une alliance des
contraires, signifiant l’harmonie
établie
dans
un
amour
cosmique : « lumière » et « nuit
», « parfum » et « tabac ».
La sacralisation de la
scène se lit dans le lexique
religieux appliqué à l’amour : «
linceul », « tombe », « défunte »,
« halo », « embaumer ».
Tout ce début repose
sur une métaphorisation filée
du lit en « vallon » (image
suggestive, renvoyant aux
courbes du corps aimé), mais
aussi, le texte permet de passer
peu à peu de la simple
comparaison
explicite
(«
comme le lit d’une jeune fille…
») à la métaphore comme
norme c’est-à-dire à l’implicite
et donc la connivence (« l’air
complice » mentionné au début
du passage), le style atteignant
son paroxysme dans le cumul
de
plusieurs
tropes
:
métaphore (le lit comme « astre
»), hyperbole (« sans cesse ») et
personnification (le lit flamboie
et s’enfonce) :
Astre sans aube et sans déclin,
notre lit ne cesse de flamboyer
que pour s’enfoncer dans une
nuit profonde et veloutée.
La
cosmologie
de
l’amour s’établit de façon
progressive,
mimant
la
jouissance progressive dans
l’amour selon deux biais : d’une
part, le maintien du référent
par la métaphore in praesentia
(l’« astre » est le « lit ») garantit
une plongée progressive d’une
réalité concrète (le lit) à l’image
(l’astre) ; d’autre part, le
passage très lent de la lumière
éclatante (« astre ») à celle,
ponctuelle de la flamme («
flamboyer ») à la « nuit ».
Célébrer l’amour permet de se
réapproprier le monde, de le
rendre vivable en y conciliant
d’éventuels contraires, d’y
établir la concorde (d’où
les
déterminants
et
pronoms de la première
personne au fil du texte, «
nous » et « notre » faisant
du couple le moteur ou le
leitmotiv du texte) mais
aussi d’en dominer la
chronologie, en maîtrisant
une progressivité de
l’imagination stimulée.
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Mouvement 2 de « Je gis
» jusqu’à « fraîcheur »
Le second mouvement (deux
paragraphes
selon
le
découpage de l’extrait à
étudier) passe du lit qui
accueille le couple, au corps
des deux amant(e)s et plus
encore, à une partie du cœur,
le cœur battant. C’est alors un
lieu dans le lieu tel que l’on voit
de dessiner un mouvement de
zoom, de la chambre (avec son
lit) au corps dans le lit au cœur
dans le corps. On assiste ainsi
à une véritable plongée
érotique et poétique où le
corps et le cœur deviennent de
nouveaux territoires. Le monde
intérieur (aux êtres) doit ici
rejoindre le monde extérieur
(les lieux dans les périmètres
visibles et mesurables d’une
chambre ou d’un lit). Colette
déplace ici le monde à célébrer
mais en créant un effet d’écho,
de sorte qu’une véritable